Le samouraï insulté
Près de Tokyo vivait un vieux samouraï, déjà âgé, qui se consacrait désormais à enseigner son art aux jeunes Il était réputé pour sa sagesse et, malgré son âge, on murmurait qu’il était capable de battre n’importe quel adversaire.
Un jour arriva un guerrier réputé pour son manque total de scrupules. Il était célèbre pour sa technique de provocation : il attendait que son adversaire fasse le premier mouvement et, doué d’une intelligence rare pour profiter des erreurs de son adversaire, il contre-attaquait avec la rapidité de l’éclair. Ce jeune et impatient guerrier n’avait jamais perdu un combat. Comme il connaissait la réputation du vieux samouraï, il était venu pour le vaincre et accroître ainsi sa réputation.
Contre l’avis de ses élèves, le vieux maître accepta de relever le défi. Ils se réunirent alors sur une place de la ville, entourés de tous les élèves venus encourager le maître. Le jeune guerrier commença à insulter son adversaire, puis lui lança des pierres, lui cracha au visage et cria toutes les offenses connues. Pendant des heures, il fit tout pour le provoquer, mais le vieux maître resta impassible. À la tombée de la nuit, se sentant épuisé et humilié, l’impétueux guerrier se retira.
Dépités d’avoir vu leur maître accepter autant d’insultes et de provocations, les élèves le questionnèrent :
– Comment avez-vous pu supporter une telle humiliation ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas servi de votre épée, même sachant que vous alliez perdre le combat, au lieu d’exhiber votre lâcheté devant nous tous ?
– Si quelqu’un vous tend un cadeau et que vous ne l’acceptez pas, à qui appartient le cadeau ? Demanda le vieux samouraï.
– À celui qui voulait le donner ?, suggéra l’un des disciples.
– C’est exact. Et cela vaut aussi pour l’envie, la rage et les insultes, dit le maître. Lorsqu’elles ne sont pas acceptées, elles appartiennent toujours à celui qui les porte dans son cœur.
Auteur anonyme
Commentaire
Ce conte se retrouve notamment parmi les contes de l’application de méditation Petit bambou. Matthieu Ricard la relate aussi, dans une version un peu différente. Samuel Stemmer le relate à sa manière (2018 : 98). Pierre Pradervand y fait référence dans une version au bord du Gange (2021 : 59-60).
Si on répond à l’insulte, le risque est clairement celui de l’escalade : la violence engendre la violence. C’est aussi s’inscrire dans la résistance, ce qui conduit à la souffrance : on prend les reproches, colères, critiques, réflexions des autres pour nous-même, en contradiction avec l’un des quatre accords toltèques. « Ne reproches pas à autrui de te blesser par ses propos, car il n’est là que pour te montrer que tu ne t’aimes pas encore assez pour transcender ses mots » (Stemmer 2018 : 142).
Or, la réponse à l’insulte est certes tentante, car elle semble faire se sentir mieux momentanément, mais ce bénéfice est passager et éphémère : on vibre négativement : « Le meilleur parmi les hommes et celui qui, discipliné, supporte insulte » (Paroles de vérité, cité par Rahula 1961 : 180).
Et ne pas répondre ne signifie pas être passif, car un double cheminement est nécessaire. Intérieurement, on doit nourrir sa propre paix intérieure, car il n’est jamais aisé de rester serein dans ces situations, l’égo mutilé intimant de réagir. Prendre conscience des émotions que cela réveille en soi, voire ses blessures, n’est pas aisé. W. Dyer écrit ainsi : « […] Lorsque vous vous sentez offensé ou contrarié, plutôt que de diriger votre attention vers la personne ou l’incident extérieur, remarquez ce que vous éprouvez et dans quelle partie du corps » (Dyer 2010 : 34).
Tourné vers l’autre, on doit nourrir la compassion, aimer l’autre dans son acte, car une insulte, finalement, n’est que l’expression, chez celui qui l’exprime, d’une colère, d’une souffrance émotionnelle, d’un profond désarroi. Elle révèle la souffrance de l’autre, pas la sienne :
« Va dire des injures à une pierre, à quoi cela avancera-t-il ? Elle ne t’entendra point. Imite la pierre, et n’entends point les injures qu’on te dit. » (Cornette de Saint Cyr 2017 : 30)
Mais avant tout, cette histoire rappelle que le seul pouvoir que les autres ont sur soi, c’est celui qu’on accepte de leur donner.
Pour aller plus loin, ce qui est vrai des insultes l’est tout autant des compliments. Là encore, les émotions se liguent à l’égo, et font le jeu de l’autre. Ainsi, ne céder pas plus aux couteaux des insultes qu’aux limbes des compliments, c’est reconquérir sa liberté et cheminer vers une plus grande sérénité :
« Ce que nous sommes et ce que nous faisons
doivent être la source de notre bien-être
et non les compliments, la gratitude,
la reconnaissance ou le soutien
qui nous viennent des autres. »(Bourbeau 2000 : 222)
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