Le doigt

« Cet homme-là était ermite depuis soixante-dix années. Et quand ses rares visiteurs se risquaient à lui demander d’où lui venait cette lumière qui brillait doux dans son regard, il ne savait que répondre et partait d’un rire enfantin. Un ministre, un jour, vint le voir. Ses affaires n’allaient pas bien, il se sentait du vague à l’âme. L’ermite lui offrit un dîner de fruits secs, quelques conseils, un lit de paille, puis au matin :
– Permettez-moi, dit-il au noble personnage, de vous offrir un souvenir.
Il ramassa entre ses pieds un très ordinaire caillou, le toucha du bout de l’index et (miracle !) voici la pierre changée en une pépite d’or pur. Ébahissement du ministre. Il rit, battit des mains, puis en voulut encore. Le vieil homme, amusé, toucha du bout du doigt un énorme rocher. Nouveau prodige. Voici là, rutilant au soleil de l’aube, un bloc d’or à escalader.
– Désirez-vous plus, mon ami ? dit l’ermite, l’œil pétillant.
– Oh non, répondit le ministre, tant ému qu’il en bégayait. Ce que je veux, c’est votre doigt !
Maître Taisen Deshimaru, qui conta avant moi l’histoire, dit que beaucoup de gens sont semblables à cet homme. C’est bien possible. À toi de voir. »

(Gougaud 2013 : 89-90)

Commentaires

La cupidité, l’avarice et les soifs impatientes, mères de l’accumulation, avilissent non seulement les rapports humains (combien de familles et d’amis divisés par l’argent ?), mais ont une conséquence directe sur le monde : meurtres, guerres, inégalités sociales, famines, désastre écologique…
À l’inverse, la modération, la simplicité et le partage feraient deux heureux, celui qui donne et celui qui reçoit. Et ce qui est vrai des biens matériels l’est encore plus de l’amour et de la connaissance : en les partageant, on ne les divise pas, on les multiplie…

« Le contenu d’une cacahuète est suffisant pour que deux amis puissent le partager », proverbe burkinabé
« Tout ce qui n’est pas donné est perdu », proverbe indien cité dans le film La Cité de la joie (1992)

Finalement, l’ermite dispose d’une richesse incroyable, mais il n’en profite pas pour lui-même : il vit modestement et ses yeux brillent… Est-ce là la principale leçon de ce conte ?