Le roi et son serviteur

par | Fév 3, 2022 | 0 commentaires

« Voici l’histoire d’un roi dont l’excellent serviteur a pour manie de dire en toute circonstance : “Tout est pour le mieux”, ce qui agace le roi. Un jour, le roi se blesse au doigt en coupant une branche. Voyant cela, son serviteur ne peut s’empêcher de dire :
– Tout est pour le mieux, ô mon roi.
Exaspéré, le roi l’emmène près d’un puits à sec.
– Je m’en vais te jeter dans ce puits, hurle-t-il, qu’en penses-tu ?
– Tout est pour le mieux, répond le serviteur, imperturbable.
Fou de rage, le roi le jette dans le puits. Bientôt, il se retrouve cerné par un groupe de sauvages, adorateurs d’une redoutable déesse à laquelle ils ont coutume d’offrir des hommes en sacrifice. Le roi est attrapé, ligoté et traîné jusqu’au temple de la déesse pour y être sacrifié. Le prêtre du temple remarque la plaie au doigt du roi et déclare qu’ayant une blessure, le roi est souillé et ne peut être sacrifié. Heureux d’être encore vivant, le roi se souvient des paroles de son serviteur et rebrousse chemin pour l’aider à sortir du puits où il l’avait jeté. Une fois le serviteur tiré d’affaire, il lui confie son aventure et approuve son “tout est pour le mieux” car, sans son doigt blessé, il serait déjà dans l’autre monde. Il est toutefois saisi d’un doute.
– Sage serviteur, ton “tout est pour le mieux” s’est révélé exact pour moi. Mais comment le justifies-tu pour toi ?
– Sire, si vous ne m’aviez pas poussé dans le puits, j’aurais été capturé par ces sauvages et sacrifié à la déesse. Voilà pourquoi, pour moi aussi, “tout est pour le mieux” ».

(Lenoir 2012 : 125-126)

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Ce conte, rapporté par Frédéric Lenoir dans L’âme du monde, n’est pas sans rappeler la philosophie de l’optimisme du philosophe Leibnitz, largement critiquée à son époque, notamment par Voltaire dans Candide.
Critiquée car le monde étant souffrance (1ère des Quatre Nobles Vérités), la phrase pourrait paraître naïve, voire cynique. Pourtant, si Frédéric Lenoir reconnaît que la douleur est universelle, il observe aussi que la résistance est source d’une souffrance plus grande : « […] Lorsqu’à la douleur physique ou morale s’ajoutent la colère, la tristesse, la haine, le ressentiment, le refus, le déni ou la plainte, alors la souffrance psychique et spirituelle vient s’ajouter à la douleur objective que nous ressentons » (Lenoir 2018 : 44).
L’idée sous-jacente serait que face à la 1ère des Quatre Nobles Vérités, à laquelle il n’est pas possible d’échapper, la manière de la considérer et la manière de réagir déterminent son réel impact :

« Nous ne pouvons pas nous libérer du monde, mais nous pouvons nous libérer de notre monde : la prison de nos croyances et de notre ego. Nul ne peut changer la vie, mais chacun peut changer ses croyances et son vécu. Le bonheur et le malheur sont à l’intérieur de nous. » (Lenoir 2012 : 127)

Faisant écho à une multitude de contes, parmi lesquels le conte du sage et du guerrier, le conte des deux loups, le conte du grillon dans la ville, le conte du vieux sage et du marchand ou encore le conte de la pièce tapissée de miroirs, ce conte souligne l’importance, en termes d’outil de résilience qui peut être développé, du regard jugeant porté sur les événements :

« Un homme pessimiste voit partout dans le monde des signes négatifs qui confirment son pessimisme. Un homme optimiste voit partout des signes d’espoir qui confirment son optimisme. […] Un homme craintif a beaucoup plus de chances de se faire agresser qu’un homme sans peur ; un homme complexé de se faire rejeter qu’un homme sûr de lui. […] Dans chaque être et chaque instant, heureux ou douloureux, facile ou difficile, nous ne voyons jamais que notre seule image » (Lenoir 2012 : 121-122).

Laurent Gounelle présente une anecdote romanesque exemplaire de cette capacité, ici presque surhumaine, à porter un regard différent sur le monde, au travers de l’instant présent :

« [Krakus ayant saboté l’arc d’un chasseur, tente de l’entrainer dans des pensées négatives].
– J’ai appris, pour ton arc, dit Krakus. C’est vraiment dommage, c’était le plus beau de tous, le plus grand, le mieux décoré. Je suis navré pour toi. Tout le monde devait t’envier… Tu dois le regretter.
L’homme le regarda, l’air étonné et amusé à la fois.
– Mais de quoi parles-tu ?
– De ton arc, bien sûr.
– Je n’ai pas d’arc.
Krakus avala sa salive. L’homme n’avait pas l’air de vouloir se moquer de lui. Alors pourquoi niait-il ?
– Je t’ai vu hier avec. Tu en avais un magnifique, splendide…
– Hier peut-être, mais aujourd’hui je n’ai pas d’arc. C’est ainsi, dit-il le plus tranquillement du monde.
– Tu dois le regretter, dis pas le contraire ! Ça doit bien te décevoir un peu, quand même !
– Cet objet n’existe plus. Pourquoi serais-je déçu de quelque chose qui n’existe pas ?
Krakus s’emporta.
– Hier, il existait bien, quand même !
– Mais hier a disparu, mon ami. Nous sommes aujourd’hui, toujours aujourd’hui. » (Gounelle 2012 : 57)

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