La parabole du radeau
Le Bouddha aurait raconté cette histoire à ses disciples. Un voyageur arriva face à une grande étendue d’eau, dont la rive semblait dangereuse et effrayante, alors que la rive de l’autre côté semblait sûre et sans danger. Il n’y avait cependant aucun moyen de rejoindre l’autre rive, ni barque, ni bac, ni pont. L’homme se dit alors :
– Cette étendue d’eau est vaste, mais la rive de ce côté-ci est dangereuse et effrayante et l’autre rive est sûre et sans danger. Il serait bon que je rassemble du bois et construise un radeau pour passer en sécurité sur l’autre rive.
L’homme se mit à rassembler du bois et construisit un radeau de fortune. Puis, se servant de ses mains et de ses pieds, il traversa l’étendue d’eau à l’aide de son radeau et parvint sain et sauf de l’autre côté. Il pensa alors :
– Ce radeau m’a été d’un grand secours. Il serait bon que je le porte sur mon dos partout où il me plaira d’aller.
Alors, le Bouddha demanda à ses disciples :
– Pensez-vous que cet homme agit convenablement ?
– Non, Seigneur.
– Alors, de quelle manière agirait-il convenablement ?
Et il poursuivit l’histoire. Ayant traversé l’étendue d’eau sain et sauf, l’homme pensa :
– Ce radeau m’a été d’un grand secours. Mais à présent, il serait bon que je le dépose à terre et que je m’en aille où il me plaira.
Et le Bouddha ajouta :
– Agissant de cette manière, cet homme agit convenablement. De même, j’enseigne une doctrine semblable à ce radeau – elle est faite pour traverser et non pour s’y accrocher inutilement. Vous devez comprendre que mon enseignement est semblable à ce radeau ; vous ne devez pas vous accrocher aux bonnes choses, et moins encore aux mauvaises.
Adaptation libre de la parabole du radeau retranscrite dans L’enseignement du Bouddha (Rahula 1961 : 29-30).
Commentaires
Cette parabole illustrerait d’abord l’humilité du Bouddha : il ne présenterait pas son enseignement comme une parole sacrée ou divine, mais comme un enseignement qui ne mérite pas qu’on s’y attache. Ce principe se retrouverait au fondement même du taoïsme, qui débute par « Le tao qui peut être nommé n’est pas le Tao ».
Le Bouddha inviterait à toujours prendre de la distance, du recul, en regard de toute forme d’enseignement, rappelant ainsi que « les racines de tout mal sont l’ignorance et les vues fausses » (Rahula 1961 : 19).
Le Bouddha laisserait ensuite entendre qu’il puisse y avoir des bons et mauvais enseignements, invitant finalement chacun et chacune, en cohérence avec la voie du milieu, à identifier les enseignements qui seraient bons ou pas pour lui, dans sa propre situation, ici et maintenant. Par exemple, un conseil avisé pour une personne pourrait être un conseil inutile, voire néfaste, pour une autre.
Respectivement, cette parabole serait aussi un message de tolérance, notamment à l’égard des autres discours religieux : « Être attaché à une chose (un point de vue) et mépriser d’autres choses (d’autres points de vue) comme inférieures, cela les sages l’appellent un lien » (Suttanipáta (édition PTS), p. 151, v. 789, cité par Rahula 1961 : 29).
Enfin, qu’elle qu’en soit la nature, le Bouddha recommanderait d’abandonner ces enseignements lorsqu’ils ne sont plus utiles (non attachement), pointant leur caractère relatif. En ce sens, et au-delà du caractère général de cette parabole, la métaphore de la rive dangereuse et effrayante d’un côté, sûre et sans danger de l’autre, et du plan d’eau qui les sépare, semble évoquer un enseignement lié à une forme de processus de résilience. Dans cette métaphore filée, quel que soit l’enseignement, il est donc bon de l’élaborer (prendre conscience de sa situation et de l’intérêt de changer de rive ; construire un radeau, ce qui laisse entendre qu’il ne s’agit pas d’écouter passivement un enseignement, mais d’agir), de s’en servir (nager), mais après, de le déposer.
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