Le chêne et le roseau

par | Oct 7, 2022 | 0 commentaires

« Le chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête ;
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir,
Je vous défendrais de l’orage :
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts. »

(Jean de La Fontaine, XXII. Le chêne et le roseau, p 39)

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Cette fable de Jean de La Fontaine juxtapose les propos d’un chêne, ceux d’un roseau et enfin la réponse du vent. Le chêne représente la solidité (force, puissance), la protection (domination), la résistance, voire l’arrogance et l’orgueil (« Celui de qui la tête au ciel était voisine ») ; le roseau représente la souplesse (faiblesse), l’accueil, voire la modestie (sans se mésestimer) et la bienveillance ; le vent représente enfin les aléas de la vie, les « vents contraires » de l’existence.
Deux enseignements au moins pourraient être tirés de cette fable.
Le premier, c’est que face à l’adversité, il faudrait parfois savoir plier, accueillir, attendre des jours meilleurs, plutôt que de vouloir résister à tout prix. Reconnaître sa part de fragilité et ses propres limites, ne pas résister à tous crins, savoir occasionnellement et temporairement courber l’échine, choisir ses batailles, serait salutaire.
Le deuxième enseignement, c’est que la roue peut tourner. Ceux qui peuvent paraître forts dans certaines circonstances, dont la carrure ou le statut peuvent les laisser paraître inébranlables, peuvent finalement s’effondrer ; souvent, ce serait même l’arrogance au faîte de leur gloire qui les amènerait à se comporter de manière inhibée ou hasardeuse. Au contraire, ceux qui peuvent paraître faibles (chétifs, insignifiants…) peuvent finalement, dans certaines circonstances, se révéler très courageux et résistants (résilients).

Mais le vent, qui représente plus largement la nature, pourrait distiller un troisième enseignement : perte de biodiversité ; dérèglement climatique, pollution… Dans son anthropocentrisme, l’humain se voit (se croit) à côté (au-dessus) de la nature, et s’inquiète magnanimement de sa destruction. Mais pour Gaïa, cette période ne s’apparente-t-elle pas plus à une grippette (réchauffement climatique), dont elle saura se remettre rapidement (à son échelle temporelle) lorsque l’humain, le virus, aura disparu ? La métaphore médicale s’arrête peut-être là : ce n’est pas Gaïa, par son propre système immunitaire, qui détruit l’humain. En revanche, l’humain, par son arrogance (à commencer celle de son anthropocentrisme, mais aussi celle de sa croyance aveugle d’une supériorité techno-scientifique qui la sauvera), n’est-il pas en train de provoquer son autodestruction ? L’humain aurait-il à choisir entre la résistance à des changements nécessaires (l’acharnement de la croissance ; l’obstination de la surenchère), et voué alors à disparaître, ou l’acceptation et l’accueil de nécessaires changements (le bonheur de la frugalité ; la puissance de la modération), et survivre peut-être, mais autrement (frugalisme, dépouillement, sobriété) ?

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