La barque vide
Un jour, un jeune moine souhaita s’isoler pour méditer. Recherchant le calme et le silence, il prit une barque, se rendit au milieu d’un lac et y jeta l’ancre. Il ferma alors les yeux et commença à méditer. L’eau était calme ; une sérénité immense l’envahissait.
Après quelques heures de méditation silencieuse, il ressentit soudainement le choc d’une autre barque ayant heurté la sienne. Les yeux toujours clos, il perçut la colère monter en lui, irrité d’avoir été interrompu dans sa méditation. Il ouvrit alors les yeux, prêt à injurier celui qui l’avait bien inutilement dérangé dans sa méditation.
Mais il resta bouche bée : la barque était vide. L’embarcation s’était probablement détachée et avait dû dériver jusqu’à lui. Le moine comprit alors que ce choc extérieur, somme toute anodin, avait suffi à le mettre en colère.
Alors, aujourd’hui encore, à chaque fois qu’il rencontre quelqu’un ou quelque chose qui l’irrite ou provoque de la colère en lui, il se remémore ces quelques mots : « Cette colère est mienne ; l’autre n’est qu’un bateau vide. »
Auteur anonyme
Commentaires
Ce conte rejoint deux autres contes, le conte des clous dans la palissade – qui porte sur les conséquences de la colère – et le conte du remède à la colère – qui porte sur la manière de la contenir –, pour illustrer trois facettes complémentaires de la colère.
La colère est une émotion naturelle ; y résister peut être douloureux et dangereux. Mais comme en témoigne le conte des clous dans la palissade, la colère laisse aussi des traces, des cicatrices, sur celui ou celle sur laquelle elle se déchaîne, et ce d’autant plus que la colère est rarement dirigée sur la bonne personne, au bon moment et avec la bonne intensité. La colère fait alors deux victimes, celle qui est en colère et celle qui la subit : « La colère est le désir de rendre mal pour mal » (Aristote).
Émotion naturelle, il s’agirait donc de l’accueillir sans la laisser déborder, de l’observer et d’essayer de comprendre ce qu’elle révèle de soi. Son remède serait le silence, l’observation et la patience.
Car la colère n’a d’origine que soi-même ; elle révèle sa réalité, ses croyances, son univers, ses faiblesses, ses blessures : « Lorsque donc quelqu’un te met en colère, sache que c’est ton jugement qui te met en colère » (Épictète). Avec le recul nécessaire, la colère devient ainsi une occasion de mieux se comprendre. La colère est alors un excellent baromètre de son état intérieur : plus on est serein à l’intérieur, moins l’extérieur peut nous irriter.
De manière générale, la colère est en effet liée à la manière de percevoir les choses, c’est-à-dire que percevoir une situation comme irritante est personnelle. Face à même situation, chaque personne régira différemment : là où une personne s’emporte avec fracas, une autre reste impassible et semble ne pas être touchée. L’origine de la colère est donc une perception de la réalité, directement liée aux pensées limitantes qui la concertent. Et l’intensité de la colère peut être régulée en modifiant sa perception de la réalité, en l’objectivant, la relativisant, en la nuançant…
Finalement, en comprenant ce qui déclenche nos colères et en cultivant notre calme intérieur, on devrait pouvoir mieux contrôler ses colères, leur durée et leur intensité.
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