Changer d’altitude

par | Jan 5, 2023 | 0 commentaires

Références:

Piccard, Bertrand

Changer d’altitude : quelques solutions pour mieux vivre sa vie

Pocket.

2014

Résumé

Bertrand Piccard est le petit-fils d’Auguste Piccard (explorateur-aventurier de la stratosphère) et fils de Jacques Piccard (explorateur-aventurier de la fosse des Mariannes). Il est lui-même psychiatrique et explorateur-aventurier, ayant notamment réalisé le tour du monde en ballon sans escale et le tour du monde en avion solaire. Il est à l’origine de la Fondation Solar Impulse, qui avait pour premier objectif d’identifier 1000 solutions efficientes et rentables visant à protéger l’environnement et à lutter contre le changement climatique.
Dans cet ouvrage, l’auteur, champion d’Europe de voltige en aile delta puis aéronaute chevronné (pilote de ballon), invite à porter un regard original sur le monde et les événements, à travers la métaphore du changement d’altitude : avec l’aile delta, on lutte contre le vent ; avec le ballon, on vole avec… C’est donc principalement un ouvrage consacré à la résistance et à l’accueil, avec en toile de fond la notion de résilience : « Qui que nous soyons, portés ou cassés par les circonstances, nous sommes simplement, en fin de compte, des êtres en quête d’épanouissement. Nous cherchons à nous en sortir le mieux possible malgré les turbulences » (2014 : 26).
Notons que la construction de cet ouvrage peut légèrement perdre son lecteur, par effet de juxtapositions et de propos parfois circulaires. Voici donc prudemment résumées quelques réflexions identifiées dans ces pages.

1. Sortir de sa zone de confort (de ses certitudes) pour cultiver l’incertitude (et l’aventure)
« On nous encourage dès notre plus jeune âge à ériger des certitudes et à renforcer des croyances comme autant de protections contre les questions et les doutes » (2014 : 29) :

« Pour s’épanouir dans l’existence, il faut se frayer un chemin entre maladies et accidents, guerres et catastrophes naturelles, licenciements et mises à la retraite, conflits et deuils. Notre éducation, pour cela, ne nous apprend qu’à tenter de lutter contre la vie et chercher à en éviter les dangers. Elle ne nous apprend plus assez l’importance de la responsabilité individuelle, de la prise de décision, de la gestion du risque. » (2014 : 54)

Mais les croyances, convictions et certitudes ne donnent un sentiment d’invulnérabilité que jusqu’à ce qu’une faille laisse entrer la lumière : « Les interrogations sont porteuses d’ouverture alors que les convictions sont souvent des prisons » (2014 : 20).
Or, pour l’auteur, notre zone de confort est précisément l’ensemble des repères, certitudes et habitudes, à la fois force et faiblesse. Force parce qu’elle nous aide à tenir debout ; faiblesse parce qu’elle nous fragilise : « La vie ordinaire, axée uniquement sur le besoin de sécurité, […] anesthésie nos performances » (2014 :46) et, qui plus est, nous empêche de voir d’autres réalités.
D’une part, tel le conte où le roseau face au chêne, « notre manque de flexibilité et de compréhension globale nous fait trébucher lorsque les événements dépassent notre capacité de protection, de résistance et de lutte » (2014 : 31). À l’inverse, si on apprivoise le changement (prendre des risques quotidiennement, aussi anodins soient-ils ; se remettre perpétuellement en question) plutôt que d’y résister (en empilant des certitudes, habitudes et convictions), si on cultive le lâcher-prise (à la manière d’Épictète), on développe sa résilience en lieu et place d’être prisonnier des « vents de la vie » et des pensées limitantes :

« Avec ce “prêt-à-penser”, nous finissons, sans nous en rendre compte, rassurés mais prisonniers, protégés mais rigides, enfermés dans une boîte de certitudes que nous avons mis toute notre énergie à construire. Nous y perdons notre liberté et notre sensation d’exister. » (2014 : 49)

« […] C’est l’attitude de refus qui renforce notre souffrance. » (2014 : 209)

Ce à quoi, Matthieu Ricard, à qui l’on doit la Préface de l’ouvrage, ajoute : « […] Vouloir que le présent soit autre chose que ce qu’il est constitue l’une des plus grandes causes de frustration dans l’existence. C’est aussi la plus inutile » (2014 : 11).
L’auteur revient plus loin sur cette question de la résistance (opter pour le vent de face ou le vent arrière, et accepter alors d’être porté par le souffle de la vie) face aux crises que nous réserve l’existence :

« Une autre façon d’aborder ce volet serait de tenter de définir la souffrance comme une irréversible volonté de s’opposer, de résister aux changements imposés par certains événements de la vie, comme une crispation sur le corps ou sur le psychisme. Il y aurait donc tout de même deux attitudes face aux épreuves : la conviction de souffrir “à cause de” quelque chose, avec le combat qui s’ensuit pour refuser le changement envers et contre tout ; la conviction de souffrir “pour” quelque chose. » (2014 : 241)

Il ne s’agirait pas de prêcher le fatalisme (Ricard ajoute à ce propos : « Changer notre vision du monde n’implique pas pour autant un optimisme naïf, pas plus qu’une euphorie factice destinée à neutraliser l’adversité », 2014 : 12), mais de se battre dans le but de progresser et non pas de s’enliser dans sa zone de confort : « Nous avons trop tendance à nous battre pour retrouver le passé plutôt que pour construire un avenir meilleur » (2014 : 2010).
D’autre part, notre zone de confort nous emprisonne dans une manière de voir la réalité, alors que bien des solutions se trouvent hors de notre zone de confort. En particulier, des dimensions extérieures et matérielles : « Tout ce que nous développons comme bonheur personnel, familial, matériel dépend de l’extérieur et sera tributaire des vents de la vie. […] Il n’y a que les qualités intérieures de conscience, de bonté et de sagesse qui peuvent devenir permanentes et indépendantes des circonstances » (2014 : 34-35) :

« […] La seule chose que nous pouvons véritablement apprendre à contrôler est notre état de conscience dans l’instant présent. » (2014 :46)

Car, finalement, « nous avons peur de l’inconnu […]. Nous avons appris à maîtriser ce qui se trouve à l’intérieur de notre zone de confort, pas le reste » (2014 : 59). La résilience deviendrait alors la capacité à absorber l’inconnu, à sortir de sa zone de confort, à partir à l’aventure :

« L’aventure est une crise qu’on accepte, la crise est une aventure qu’on refuse. » (2014 : 64)

« Le principal obstacle au changement n’est pas le symptôme, mais le poids du lest embarqué [pensées limitantes] dans la vie et la peur de l’inconnu. » (2014 : 202)

« [La] vie toute entière peut être perçue comme une grande aventure, dont les crises et les malheurs, autant que les espoirs et les réussites, nous forcent de façon irréversible à accepter une autre relation avec l’inconnu. » (2014 : 209)

« Il est fondamental dans la vie d’apprendre à élever son seuil d’angoisse, d’augmenter le niveau de peur et de doute que l’on est capable de supporter. » (2014 : 263)

Développer sa résilience consisterait alors à dépasser ses propres limites (sa zone de confort), parfois par des petits gestes (changer de station d’essence ou de magasin), parfois par des plus grands gestes (réaliser son 1er saut à élastique ou en chute libre), parfois par d’énormes gestes (changer de pays, changer de métier, changer de source spirituelle…). Petite précision sur ce dernier exemple ; l’auteur consacre un chapitre à distinguer religion et spiritualité, et en dit ceci : « À côté de ceux qui s’accrochent aux dogmes comme à une bouée de sauvetage, je vois ceux qui rejettent, parfois en bloc, la notion même de spiritualité qu’ils confondent avec la religion » (2014 : 268).

2. Du détachement (zone de contraintes) au changement d’altitude (zone d’influence)
Lorsqu’on évoque la zone de confort, on évoque son corolaire, sa zone d’action, sa zone d’autonomie, qui s’oppose à sa zone de contraintes. Le stoïcisme pourrait être résumé par cette citation attribuée faussement à Marc Aurèle : « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre ». Ainsi en va-t-il du vol en montgolfière, où il faut apprendre à aller avec les vents (zone de contrainte). Or, la résilience, définie ici comme la capacité à absorber l’inconnu, est aussi la capacité à « supporter » les zones de contraintes. Plus encore, absorber l’inconnu ou partir à l’aventure est une manière de reconnaître le caractère impermanent de toute chose.
Ainsi, quelle que soit la situation, quel que soit l’événement, il s’agirait de se demander : suis-je dans ma zone d’action ou dans ma zone de contraintes ; dans le premier cas, je lutte, dans le deuxième cas, j’accueille, j’accepte, avec prise de recul, humour et auto-dérision…
Mais l’auteur va plus loin, en évoquant une troisième voie, le changement d’altitude, qui s’apparente à la zone d’influence : « Malgré les apparences, la vie est loin d’être binaire et ne se résume pas à ce que l’on peut ou non contrôler, ni aux situations que l’on doit accepter ou refuser » (2014 : 89).
Une grande partie de l’ouvrage tourne ainsi autour de la métaphore filée des aéronefs (delta, ballon, solar impulse…). Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils permettent de prendre ou de perdre de la hauteur :

« J’ai vu ma vie quotidienne de si loin, de si haut, que je n’ai pas pu m’empêcher de me demander pourquoi j’accordais habituellement de l’importance à tant de détails dérisoires. » (2014 : 61)

Changer d’altitude, c’est changer de regard, prendre du recul (de la hauteur), changer de niveau de compréhension (se décentrer), s’opposer à son propre point de vue (prendre son contre-pied, se forcer à penser le contraire), imaginer 10 solutions créatives, s’ouvrir à une pensée autre, imaginer d’autres horizons, remettre en question ses certitudes et pensées limitantes, questionner ses habitudes, travailler à son introspection, sortir de sa zone de confort… : « Envisager le contraire de ce que l’on a toujours appris crée une ouverture d’esprit et nous permet soudain d’augmenter notre liberté de penser » (2014 : 96).

[…] Il y a en face de nous de multiples options, de multiples façons de réagir et de voir l’avenir. Si nous n’en percevons qu’une seule, nous nous sentirons prisonniers de la situation plutôt que libres de réagir. » (2014 : 211)

La crise devient alors une multitude d’opportunités d’apprendre.

3. La crise comme activateur de spiritualité, en dépassant ses peurs
Dans la continuité de l’antagonisme résistance-accueil, l’auteur revient très souvent sur la notion de spiritualité :

« […] Nous pouvons nous mettre à utiliser les moments extrêmes de notre vie, comme une démarche initiatique, une sorte de voie spirituelle, à travers laquelle c’est clairement la relation avec notre être profond, notre âme, que nous allons chercher. Une sorte de voie de l’éveil à travers la prise de risque.
Quand je parle de prise de risque, je pense à ce qui peut nous aider à casser automatismes et carcans de pensée : toutes les turbulences de la vie, bien sûr, mais aussi les lectures, rencontres, hypnose, psychothérapie, etc. » (2014 : 53)

Pour qu’une crise devienne occasion de s’élever, il faudrait être en mesure de dépasser ses peurs : « La partie de nous-mêmes qui a l’habitude de réagir à une situation dangereuse par une peur automatique a enfin cédé la place à quelque chose de beaucoup plus profond : une sorte de confiance, d’acceptation de tout ce qui se déroulait devant nous » (2014 : 62) ; « […] Notre peur viscérale de l’inconnu est à l’origine d’une majorité de nos souffrances » (2014 : 66).

« […] Ces tempêtes qui soufflent parfois sur notre tranquillité, aussi pénibles qu’elles soient, ne sont peut-être pas toutes destinées à nous engloutir. Elles peuvent au contraire nous stimuler à développer nos forces créatrices face au destin, nous obliger à apprendre un certain détachement, une remise en ordre de notre sens des valeurs, voire une indépendance ou une responsabilité accrues vis-à-vis de nous-mêmes. » (2014 : 67-68)

L’auteur, spécialiste d’hypnose et d’autohypnose, consacre un chapitre à cet outil permettant de calmer la peur de l’inconnu : « Pour calmer notre peur de l’inconnu, trouver la bonne altitude et stimuler notre confiance en la vie, nous avons besoin d’approfondir notre relation à nous-mêmes et de développer nos ressources intérieures. L’hypnose est un des moyens d’y parvenir » (2014 : 151). Il évoque à ce propos une métaphore physique, avec l’idée que notre sensation de stress est inversement proportionnelle à notre état de conscience.
Bertrand Piccard, psychiatre dont la thèse a porté sur la résilience, évoque les maladies comme des cancers et présente des résultats scientifiques qui démontrent que « ce genre d’épreuves peut engendrer le développement d’une plus grande conscience personnelle (self-awareness), un changement du système de valeurs et une plus grande considération pour autrui » (2014 : 236) :

« C’est à l’occasion des épreuves que se sont développées des préoccupations d’ordre éthique, philosophique ou spirituel qui n’existaient pas auparavant. » (2014 : 243)

Certaines crises, précisément parce qu’elles sont intenses, forcent à revenir à l’essentiel ; tout comme les églises se remplissent en cas de guerre, un accident de la route est très contrariant lorsqu’il n’y a que de la taule froissée ; cette même taule froissée devient anecdotique lorsqu’il y a un blessé grave… Changement d’altitude, retour à l’essentiel, passant du matériel à la santé et à la vie ?
Le chemin de la spiritualité passerait alors par une vocation à « créer les meilleures conditions possibles pour que l’homme puisse évoluer » (2014 : 272), à développer un « sentiment d’appartenance à un tout qui nous dépasse et dans lequel s’inscrit notre destin humain » (2014 : 274), à « devenir les aventuriers de notre existence » (2014 : 280). La spiritualité deviendrait quant à elle un outil de résilience :

« Dans l’existence, les questions sans réponse, les moments de rupture, de doute, de perte de contrôle, de crise, sont inévitables. À nous de les transformer en moments de grâce… Comment ? En les reliant systématiquement à la perception d’un monde qui nous dépasse, et dans lequel le problème actuel n’existe pas. » (2014 : 283)

Ainsi, en conclusion, l’auteur nous invite à commencer à réaliser tout ce que nous pourrions regretter de ne pas avoir fait à l’orée de notre mort, en qualifiant la vie de deux adjectifs :

« Intéressante pour apprendre, progresser, se développer. […] Utile, aussi, afin d’apporter aux autres de l’énergie pour avancer, sans toutefois que notre altruisme nous fasse perdre de vue nos propres buts. » (2014 : 343-344)

4. De l’écologie à l’écomanité
L’auteur, pourtant à l’origine de la Fondation Solar Impulse (identifier 1000 solutions efficientes et rentables visant à protéger l’environnement), considère que la « lutte environnementale en faveur des générations futures ne sera pas très efficace », car « l’intérêt collectif à long terme n’étant pas inscrit dans la nature humaine, il s’agit de trouver des avantages personnels et immédiats pour y parvenir » (2014 : 321). L’homme ne serait donc pas prêt à changer, car non seulement il serait prisonnier du court terme, mais en plus, « la réussite se mesure à la fortune et non à la sagesse, à la possession davantage qu’à l’harmonie » (2014 : 232).
Face au nécessaire besoin d’énergie pour maintenir, voire développer, le style de vie occidental, l’auteur fait alors le pari des cleantech (isolation des bâtiments, types de chauffage, voitures électriques, sources d’énergie renouvelables…), qui devraient permettre de réduire la consommation et produire des énergies renouvelables, en observant au passage que « les économies d’énergie sont nettement plus rentables que la production » (2014 : 330). Parallèlement, il milite pour un engagement politique (long terme) permettant de fixer des cadres légaux incitatifs et contraignants.
La solution ne se trouverait donc pas dans les clivages politiques actuels (gauche-droite), mais plutôt dans un mouvement qui rassemblerait « sous le même toit l’écologie, l’économie et l’humanisme » (2014 : 336). Aux antipodes de certains courants écologistes, l’auteur affirme que « la protection de la nature ne devrait pas être un but en soi » (2014 : 337) :

« Nous n’avons pas de raison de transformer notre lieu de vie en réserve naturelle dans laquelle il serait interdit de nous développer. Pourquoi ? Parce que la nature est bien plus résiliente que l’homme. L’humanité peut disparaître sous les coups de butoir de notre stupidité, de la pollution, des changements climatiques ou d’une catastrophe nucléaire, mais la nature, elle, survivra toujours. Concentrons-nous en priorité sur les grandes causes qui menacent l’avenir de l’humanité. » (2014 : 337)

Ce bref résumé a tenté de mettre en évidence certaines idées qui revenaient de manière intermittente, mais ne prétend pas avoir dressé un panorama exhaustif rendant justice à l’ensemble des concepts et idées qui traversent cet ouvrage. Sans trahir les propos de Bertrand Piccard, ce résumé pourrait se conclure par une citation également mise en exergue par l’auteur : « Si par ton geste, ta parole ou ton regard, tu permets à un homme de s’élever, alors tu fais un acte d’amour » (Confucius).

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