Savoir donner
« On conte qu’un noble soufi de la ville de Sardhana, un jour qu’il faisait visiter ses haras à un voyageur de passage, entendit son visiteur dire, dans un soupir admiratif :
– Être aussi fortuné que vous, voilà qui ferait mon bonheur !
Cet homme ignorait les usages et la noblesse du nawab. Il fut donc étonné autant qu’émerveillé, à l’instant où il prit congé, de recevoir en or et en pierres précieuses la fortune de ce seigneur qui mit, dit-on, plus de dix ans à retrouver la belle aisance qu’il avait autre fois connue. Or, comme on demandait à cet homme de bien pourquoi il avait fait un présent aussi fou à ce voyageur oublié :
– Par fidélité à mes maîtres, dit-il, et à leurs traditions. Les soufis se donnent la peine, parfois une peine infinie, d’instruire des gens de bien pauvre valeur. Pourquoi ? Parce qu’ils nous le demandent. Il n’y a aucune autre raison.
Et il raconta cette histoire.
– Un jour, dit-il, Ali, le gendre du Prophète, comme il combattait en duel, brisa l’épée de l’ennemi. Le désarmé, dans sa fureur, cria : “Que l’on m’en donne une autre !” Ali tendit sa propre épée. L’homme s’étonna grandement : “Comment peux-tu donner ton arme à celui qui veut te voir mort ?” – C’est notre tradition, lui répondit Ali. Il ne sera pas dit que quelqu’un en ce monde m’ait demandé en vain ce que je peux donner.” »
(Gougaud 2013 : 34)
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Les valeurs de partage se retrouvent dans de très nombreuses traditions. Ainsi, dans le jaïnisme, on est invité à ne pas accumuler de richesses et de partager le surplus. Le christianisme va plus loin, incitant à donner plus que le superflu, soit le nécessaire (Luc. 21.1-4). De même, dans l’Islam, l’aumône est l’un de ses 5 piliers. Plus généralement, la compassion est une vertu cardinale du bouddhisme.
Ce conte invite finalement à donner toutes ses richesses, quitte à donner au péril de soi-même. Mais surtout, il apprend à donner non pas ce que l’on a en trop, mais ce dont l’autre a le plus besoin…
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