La tasse de thé
Nan-In, un maître japonais vivant à l’ère Meiji, recevait un jour un professeur d’université venant s’enquérir sur la pratique du Zen. Le maître zen était connu pour sa profonde sagesse et ses cérémonies du thé exécutées dans une harmonie parfaite.
Alors que le maître préparait silencieusement du thé, le professeur ventait ses mérites et ses connaissances.
Une fois le thé préparé, Nan-In versa le thé à son invité. Il remplit la tasse de son visiteur et continua pourtant à verser. Le professeur, voyant sa tasse déborder, ne put se contenir plus longtemps : « Cette tasse est pleine ! Elle n’en contiendra pas plus! Et vous continuez de la remplir ».
Alors, Nan-In dit : « Comme cette tasse, votre esprit est plein d’idées préconçues, d’opinions arrêtées et de spéculations. Comment puis-je vous apprendre ce qu’est le Zen si vous ne videz pas d’abord votre esprit. »
Auteur inconnu
Commentaire
Ce récit se retrouve dans l’application de méditation Petit bambou. On le retrouve aussi chez de nombreux auteurs, parmi lesquels Laurent Gounelle (2008), Henri Brunel (2005) ou encore mis en scène dans Le moine qui vendit sa Ferrari (Sharma 2009 : 56) et dans Le guerrier pacifique (Millman 1998).
La pensée de fond est que les préjugés, opinions personnelles, convictions et autres jugements et suppositions (Ruiz 2005) encombrent et rendent sourd à la sagesse des autres. Cette notion de conditionnement se retrouve nommément chez Don Miguel Ruiz, qui parle de processus de domestication (Ruiz 2005 : 19-34). Le conte de l’éléphant enchaîné pointe une forme particulière de ces contraintes, ses propres pensées limitantes, tout comme l’effet Pygmalion induit un impact sur les autres de nos propres représentations.
Ainsi, dans un dialogue entre deux personnes, chacune ne fait qu’affirmer ses propres opinions : le temps de parole accordé gracieusement à l’autre ne sert qu’à préparer sa prochaine réplique, si bien que chacune n’entend que ses propres paroles. Difficile, dans ce genre de double monologue, d’écouter et d’apprendre:
Plus nous prenons conscience de nos paradigme fondamentaux, de l’existence de nos « cartes », de nos suppositions et de l’influence qu’exerce sur nous notre vécu, plus nous devenons responsables de ces paradigmes et pouvons les examiner, les mettre à l’épreuve de la réalité, écouter les autres, rester ouverts à leurs perceptions. (Covey 2005 : 47)
Or, « si l’homme a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle » (Confucius). Le fait d’entendre (de ne pas être littéralement sourd) n’est que le 1er niveau d’écoute parmi les 4 niveaux présentés par Otto Scharmer.
Ce qui est vrai des conversations l’est aussi de son propre rapport au monde. Les expériences et rencontres sont vécues à travers le prisme déformant des préjugés, opinions personnelles, échecs, convictions et autres suppositions (Ruiz 2005). La prise de conscience de ce « trop plein » mental peut être le premier pas vers une manière de percevoir le monde différemment : « Tu es plein d’un savoir inutile. Tu possèdes trop de connaissances sur le monde et tu ne te connais guère toi-même » (Millman 1998: 28) ; et de vivre ses expériences et rencontres comme si c’était la première et la dernière fois, les rendant uniques, comme autant d’illusions à vivre intensément, dans l’instant présent.
Il en va ainsi de ce récit. Si votre tasse en pleine, il y a fort à parier que vous allez le balayer du revers de la main, trop pétris de vos convictions et préjugés. Pourtant, l’esprit, c’est comme un parachute: il n’est utile que s’il est ouvert.
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