Les deux moines et la jeune fille
Dans des temps lointains, aux confins de l’Extrême-Orient, deux moines cheminaient sur un sentier de montagne qui devait les ramener à leur monastère. Ils marchaient d’un pas lent, cultivant le silence.
Arrivés au petit pont qu’ils avaient l’habitude d’emprunter pour traverser la rivière, celui-ci semblait avoir été emporté par une récente crue. S’y trouvait cependant une très jolie jeune fille, qui semblait désemparée : elle souhaitait traverser la rivière, mais craignait d’être emportée par les flots.
Aussi, le plus ancien des deux moines proposa à la séduisante jeune femme de la porter sur son dos pour traverser la rivière. Arrivé sur l’autre rive, il la déposa délicatement au sol et la jeune femme le remercia d’un tendre sourire.
Les deux moines reprirent alors leur chemin en silence. Au bout d’un long moment, le plus jeune des deux moines, n’en tenant probablement plus, s’adressa à son compagnon : « Frère, vous avez brisé un précepte, qui nous interdit tout contact avec les femmes. Comment avez-vous osé porter cette femme sur votre dos ? ». Le vieux moine ne répondit pas et poursuivit paisiblement son chemin.
Plus loin, plus tard, le jeune moine, dont la colère semblait s’amplifier, insistât en réitérant sa question. Le vieux moine finit alors par interrompre sa marche et répondit avec bienveillance : « J’ai déposé cette jeune femme de l’autre côté de la rivière il y a déjà longtemps. Se pourrait-il que vous la portiez encore sur votre dos ? ».
Conte librement inspiré d’une légende bouddhiste
Commentaire
En dépit de sa simplicité, ce conte recèle de nombreux enseignements. Le premier est sans nul doute que les préceptes, fussent-ils bien fondés, ne doivent pas être suivis aveuglément. Y déroger peut parfois être le résultat d’un regard critique porté sur la situation présente. En d’autres termes, il faudrait parfois sagement transgresser les règles.
Un deuxième enseignement est qu’un esprit moralisateur porte bien plus longtemps le poids d’un événement que celui qui l’a exécuté avec simplicité et compassion : quel fardeau n’auriez-vous pas encore déposé sur l’autre rive ? Son corolaire est le danger à porter un jugement sur toute personne ou tout événement. Il serait au contraire recommandé de porter d’abord l’attention sur soi, plutôt que de « lancer la première pierre » (Bible : Évangile selon Saint Jean) et de « voir la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien » (Bible : Évangile selon Saint Luc). On est ainsi souvent plus attentifs aux défauts d’autrui, si mineurs soient-ils, qu’à nos propres défauts, si patents soient-ils.
Un troisième enseignement est celui de prendre le temps d’écouter l’autre, de préparer sa réponse posément, afin d’avoir une « parole impeccable » et bienveillante. Cette attitude attentive et bienveillante n’est possible que si l’on ait en paix avec ses propres pensées. Lise Bourbeau, dans Les peurs & les croyances, illustre cette dimension en évoquant la question de véganisme, en conclut ainsi : « Quand nous savons que c’est ce qui est bon pour nous, nous acceptons finalement que les autres ne pensent pas comme nous et cela, sans nous sentir menacés » (Bourbeau 2022 : 119).
Un quatrième enseignement est celui de vivre la sérénité de l’instant présent, sans trop s’accrocher au passé et sans trop redouter l’avenir : une personne qui agit avec conviction et en pleine conscience demeure en paix. Ainsi, pendant que le vieux moine profite de son chemin, le jeune moine rumine ses pensées, alimente sa jalousie, et passe à côté de son propre chemin. En va-t-il aussi ainsi de la vie ? Un bon exemple est la colère, comme en témoigne cette citation attribuée au Buddha : « Rester en colère, c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un ; c’est vous qui vous brûlez ».
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