Le père, l’enfant et l’âne
En des temps immémoriaux, un paysan et son fils vivaient modestement de la vente de leurs récoltes. Un jour, alors qu’ils faisaient route vers le village, accompagnés de leur âne chargé de leur précieuse récolte, l’enfant partagea avec son père sa tristesse : il se trouvait laid, et craignait souvent que les autres se moquent de lui.
L’homme sage promit alors de partager avec lui le secret du bonheur. Et ce jour-là, croisant deux jeunes paysannes, ils discernèrent des propos narquois :
– Quels abrutis ! se chuchotèrent-elles, ils ont un âne et ne profitent même pas de monter dessus.
Le vieil homme monta alors sur la bête, laissant son fils marcher à ses côtés. Un peu plus loin, ils croisèrent un groupe de paysans, qui s’indignèrent :
– Quel père ingrat ! Il laisse son fils marcher à pied ?
Le bon père céda alors sa place à son fils, et marcha à ses côtés. S’approchant du village, ils croisèrent deux villageoises avec leurs enfants. Elles commentèrent la scène avec condescendance :
– Quel inconscient ! Marcher à côté de son fils. Et il sera surpris qu’il devienne un tyran paresseux à la maison…
Apparemment résigné, le fermier remonta sur la bête et prit son fils derrière lui. Arrivés à l’entrée du village, deux femmes qui passaient par-là s’écrièrent :
– Quels hommes sans cœur ! Cette pauvre bête va crever sous leur poids.
Sensible à la critique, le père invita son fils à descendre de l’animal, et le délestèrent encore de la récolte, qu’ils chargèrent sur leur dos. Arrivés au marché, ils furent la risée de la foule :
– Quels idiots ! Ils ont un âge et c’est eux qui portent les sacs…
De retour du marché, le père dit à son fils :
– Vois-tu, mon fils, aujourd’hui, j’ai été à la fois abrutis, ingrat, inconscient, cruel et idiot. Alors, écoute ton cœur plutôt que les autres. Car quoi que tu fasses, qui que tu sois, il y aura toujours quelqu’un pour te critiquer. Fais ce que tu aimes et ce que tu penses juste, et tu seras heureux.
Auteur anonyme
Commentaires
Ce conte invite à ne pas avoir peur du regard des autres, à ne pas craindre leurs jugements et leurs reproches. Evoqué par Frédéric Lenoir (Lenoir 2012 : 77-78), il est parfaitement résumé par Eleanor Roosevelt : « Fais ce que tu crois juste, selon ton cœur, car on te critiquera de toute façon ».
Ainsi, attendre une approbation unanime avant d’agir est le plus sûr moyen de ne rien faire ; espérer une opinion unanime après avoir agi est le plus sûr moyen d’être déçu. « Etre libre, c’est aussi ne pas agir en fonction du regard des autres » (Lenoir 2012 : 77) : être libre, c’est s’émanciper autant de la critique que de la louange, c’est d’être indifférent à l’une comme à l’autre. Ne céder ni aux couteaux des insultes, ni aux limbes des compliments, c’est reconquérir sa liberté et cheminer vers une plus grande sérénité…
Ce conte invite aussi à ne pas trop se fier aux bons conseils et aux jugements d’autrui. On peut certes les écouter, en être sensible, mais finalement, la décision doit idéalement appartenir à la personne qui en porte les conséquences. Et pour soutenir la décision, les conseils et autres propos peuvent être passés à travers deux grilles de lecture :
– Ces propos passent-ils le test des trois tamis ?
– Ces conseils sont-ils donnés par des personnes expérimentées : « He spoke to his parents and friends about going to the peak. But they talked only about how difficult it was to reach the peak, and how comfortable it was to stay in the valley. The all discouraged him from going where they themselves had never been [Il parla à ses parents et amis de son envie de monter au sommet. Mais ils parlèrent que des difficultés à atteindre le sommet, et du confort de rester dans la vallée. Tous le découragèrent d’aller là où ils n’étaient jamais allés] » (Johnson 2009 : 9) ?
Finalement, ce conte invite surtout à être très prudent à l’égard de ses propres jugements, tant sur les personnes que sur les événements.
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