Le sage et le poète

par | Oct 3, 2021 | 0 commentaires

« Su Tung-Po était un poète, Fo Ying était un maître zen, et tous deux étaient bons amis. Ils avaient leur maison au bord du même fleuve, Fo Ying sur une rive et Su Tung-Po en face, sur la rive opposée.
Un matin, Su Tung-Po rend visite à Fo Ying, mais Fo Ying est absent. Son ami griffonne ces mots sur une feuille de papier qu’il glisse sous la porte close : « Su Tung Po, poète accompli que rien ne saurait émouvoir, même les plus grands vents du monde, est venu te voir ce matin ».
Fo Ying, au soir, rentre chez lui. Il trouve, il lit, part d’un grand rire. Il ajoute au bas de la feuille : « Ce que tu viens d’écrire-là ne vaut pas un pet de lapin ». Il fait porter à son ami la lettre et son bref commentaire. Su Tung-Po le lit. Il se vexe, met sa barque à l’eau, traverse le fleuve, entre chez Fo Ying.
Il rugit :
– Comment oses-tu affirmer que la prose de Su Tung-Po ne vaut pas un pet de lapin ?
– Comment croire, répond Fo Ying, que l’humble pet d’une bestiole ait suffi à pousser Su Tung-Po jusqu’ici, lui que rien ne peut émouvoir, même les plus grands vents du monde ? »

(Gougaud 2013 : 148) 
Gougaud, Henri, 2006 : L’almanach, Panama, page du 20 avril.

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Ce conte, extrait des Petits contes de sagesse pour temps turbulents, souligne l’écart entre des principes et valeurs qu’on défendrait, qu’on cultiverait, auxquels on se prétendrait fidèle, et la réalité de ses actions et réactions : « L’essence du savoir, quand on le détient, c’est de le mettre en pratique » (Confucius, cité par Spencer 2020 : 7).
C’est par exemple :

– prétendre toujours garder son calme et régulièrement s’énerver dans la circulation ;
– connaître les 4 accords toltèques et pourtant « prendre personnellement » la mauvaise humeur des autres ;
– cultiver une pensée positive et pourtant passer des nuits blanches à ruminer ;
– être contrarié (résister) par le mauvais temps qui s’annonce pour le week-end, alors que la météo est hors de son cercle d’influence ;
– réagir aux événements et pourtant attendre de la proactivité de la part des autres ;
– être conscient que si on a une bouche et deux oreilles, c’est pour écouter deux fois plus que parler, et pourtant, entendre peu et parler beaucoup ;
– éviter de sortir de sa zone de confort, alors que c’est en y sortant qu’on progresse ;
– s’en tenir à ses principes et positions, alors que négocier suppose de travailler sur les intérêts pour chercher une solution créative win-win ;
– être fier (gonflé d’orgueil) de sa nouvelle voiture, de sa nouvelle montre, de son nouveau chemisier…, alors que l’on prétend cultiver l’humilité et le dépouillement ;
– sourire rarement et pourtant trouver les autres froids et distants ;
– prétendre ne pas critiquer les absents, et pourtant critiquer à la moindre occasion ;
– savoir que l’on n’est pas immortel, et pourtant vivre comme si on l’était.

Il ne s’agit pas de culpabiliser, car chacun doit faire de son mieux… Et dans ce processus d’amélioration continue, R. Sharma prodigue un conseil pour résorber peu à peu l’écart entre aspiration et réalité :

En examinant ce que tu fais, ta façon de passer ta journée et les pensées qui te traversent l’esprit, tu te donnes un étalon pour mesurer les améliorations. La seule façon d’améliorer le lendemain, c’est de savoir ce que tu n’as pas bien fait aujourd’hui. (Sharma 2009 : 180)

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