Une bande de voleurs

par | Juin 26, 2022 | 0 commentaires

« Le grand lama Dipankara […] et son entourage voyageaient […] dans un luxe apparent.
Un jour, des bandits virent le lama et son groupe à cheval, suivis de yacks qui transportaient les cadeaux et tout le matériel pratique. Éblouis par cette opulence et tous ces objets enchanteurs, les bandits complotèrent dans le but de se les approprier.
[…] Vers minuit, lorsque le lama et ses compagnons furent profondément endormis, les voleurs descendirent sans bruit, enveloppèrent les voyageurs endormis dans la toile de leurs tentes, leur lièrent étroitement les mains et les pieds, et dérobèrent toutes leurs possessions et leurs bêtes. Ils s’enfuirent sur les chevaux et disparurent en riant dans la nuit. Nul ne savait quelle direction ils avaient prise. De leur côté, Dipankara et ses élèves, près de suffoquer sous leurs tentes et incapables de bouger, en furent réduits à attendre de longues heures que quelqu’un vienne les délivrer de leurs souffrances.
[…] Finalement, un groupe de villageois partit à la recherche de leur maître perdu ; ils trouvèrent bientôt le camp et entendirent les appels à l’aide faibles et étouffés. Choqués, ils délivrèrent rapidement le lama et ses compagnons de leur prison et les emmenèrent au village pour leur donner un bon repas, les réconforter et les réchauffer.
Puis, un groupe d’hommes robustes se mit en quête de la bande qui avait si rudement traité leur maître bien-aimé. En quelques jours, les bandits furent pris, arrêtés et emprisonnés. […]
“Emmenez-moi là-bas, je vous prie. Je veux rencontrer les bandits”, dit le lama. Il insista fermement.
Les villageois étaient déroutés. Ils ne comprenaient pas pourquoi le lama tenait tant à voir les bandits qui lui avaient infligé cette peine. […] On emmena le lama rencontrer les bandits et, dès qu’il les aperçut, tout abattus et honteux, il demanda qu’on les libère, malgré la désapprobation générale.
“Ce ne sont pas des bandits ou des valeurs, ce sont mes maîtres, déclara posément le lama. Qu’avais-je besoin de toutes ces possessions ? Tout ce qu’elles me donnaient, c’étaient du tracas, de l’anxiété et un attachement aux choses matérielles. Ces bandits et ces valeurs sont pauvres. Ils ont besoin de notre compassion et de notre pardon. Ils ont aussi besoin de cette nourriture et de ces vêtements. Ils ont besoin de terres et d’un abri. Nous devons faire preuve de bonté à leur égard” […]. »

(Lama Lhakpa Yeshe 2018 : 58-61) 

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Ce conte semble se conclure par une leçon : « Ce ne sont pas des bandits ou des voleurs, ce sont mes maîtres » (Lama Lhakpa Yeshe 2018 : 61). Cette dernière n’est pas sans rappeler le conte Gagner la guerre ou gagner la paix, ou encore une histoire rapportée par Walpola Rahula (1961 : 88) : à des jeunes gens recherchant une prostituée étant parvenue à leur dérober des biens subrepticement, Bouddha les aurait interrogés : « “Que pensez-vous, jeunes gens, lequel est le meilleur pour vous, chercher une femme ou vous chercher vous-mêmes ?” » (Rahula 1961 : 88).
Finalement, le vol par les bandits comme le vol par la prostituée deviennent l’occasion de s’interroger sur soi-même :
– Tous ces biens sont-ils vraiment indispensables ?
– La souffrance engendrée par leur disparition ne révèle-t-elle pas un attachement superflu (impermanence) ? Cette souffrance n’est-elle pas déjà présente en puissance, par le simple fait d’avoir peur de perdre ces biens ?
– Ces vols ne sont-ils pas le résultat de la pauvreté : « […] La pauvreté est une cause d’immoralité et de crimes comme vol, tromperie, violence, haine, cruauté, etc. » (Rahula 1961 : 114).
– Ces vols ne sont-ils pas enfin une occasion de se recentrer d’une part sur des valeurs profondes (partage, générosité, compassion, pardon…) et d’autre part sur son for intérieur : « “Chacun est son propre refuge” » (Rahula 1961 : 85) ; « “Demeurez en faisant de vous-même votre île (votre soutien), faisant de vous-même votre refuge, (ne cherchant) personne d’autre pour votre refuge” » (Rahula 1961 : 86).
– Enfin, ce conte n’est-il pas un hymne à une forme de non-violence, seule voie durable de sa propre paix : « Jamais par la haine la haine n’est apaisée ; mais elle est apaisée par la bienveillance » (Rahula 1961 : 119)

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