L’arbrisseau et les crapauds

par | Juin 6, 2020 | 0 commentaires

« Q. J’imagine que l’arbrisseau qui se fraie un chemin dans la terre pour germer ne peut pas […] être en harmonie totale avec le moment présent puisqu’il a un objectif, qu’il veut devenir un grand arbre. Peut-être une fois qu’il aura atteint la maturité pourra-t-il vivre en harmonie avec le moment présent ?
R. L’arbrisseau ne veut absolument rien parce qu’il ne fait qu’un avec la totalité et que cette totalité se manifeste par lui. […] Nous pourrions dire que la totalité – la vie – veut que l’arbrisseau devienne un arbre. L’arbrisseau ne se voit pas comme dissocié de la vie et par conséquent ne veut rien de lui-même. Il ne fait qu’un avec ce que la vie veut. C’est pour cette raison qu’il n’est ni préoccupé ni stressé. Et s’il doit mourir avant l’heure, il le fera avec aise. Il est aussi abandonné à la mort qu’à la vie. Il sent, même si c’est de façon inconsciente, son enracinement dans l’être, dans la vie sans forme et éternelle. »

(Tolle 2018 : 265-266)

***

« Un petit garçon et son grand-père roulent sur une route de compagne pendant un orage. Le grand-père arrête sans cesse la voiture pour pouvoir ramasser par poignées les crapauds qui recouvrent la route afin de les déposer en sécurité sur le bas-côté. Au bout de la vingt-quatrième fois, le petit garçon perd patience et lui dit. “Tu ne peux pas les sauver tous. Accepte-le. On a de la route à faire”. Et le grand-père, agenouillé dans l’herbe humide, les mains pleines de crapauds, se contente de sourire à son petit-fils et lui répond : “Eux aussi, ils ont de la route à faire”. »

(tiré de Chödrön, Pema, 2015 : Vivre heureux : Quand tout change et tout est incertain, Synchronique Editions, p. 117)

Commentaire

Dans l’échange d’E. Tolle, et si on se fonde sur le non-jugement des événements, la vie comme la mort peuvent être acceptées, sans les considérer comme bien ou mal. Plus encore, un événement dramatique peut développer un grand potentiel sur le plan de l’éveil (Tolle 2018 : 281-285).
En revanche, cela n’exprime pas le fataliste ou une forme de plaidoyer de l’inaction, bien au contraire, à l’instar de l’histoire de l’étoile de mer. L’arbrisseau veut et va ainsi grandir, mais sans dissociation ; son action est éveillée (Tolle 2018 : 292-302).
Dans la phrase « Peut-être une fois qu’il aura atteint la maturité pourra-t-il vivre en harmonie avec le moment présent ? », on reconnaît cette propension à repousser le bonheur au lendemain, en lieu et place de vivre l’instant présent : « Le mental répète chaque jour : “Une fois que tout sera en place, je serai en paix”, tandis que le cœur chuchote : “Je suis en paix” » (Stemmer 2018 : 82).
Mais alors, la conscience de l’impermanence exclut-elle la compassion pour la souffrance et la mort ? Non, bien au contraire, répondrait E. Tolle, si les actions répondent bien à l’une des trois modalités de l’action éveillée : acceptation, plaisir ou enthousiasme. Dès lors, dans la seconde fable, c’est l’action de l’enfant qui ne répond pas à l’une de ces trois modalités : le grand-père prend plaisir à s’arrêter ; l’enfant est exaspéré d’attendre. Or, s’il n’attend pas avec plaisir ou enthousiasme, alors, il peut l’accepter. Et « si vous ne pouvez pas accepter ce que vous faites [attendre] ni y prendre du plaisir, arrêtez-vous » (Tolle 2018 : 293). Ainsi, au bout de la 24ème fois, fatigué d’attendre, l’enfant pourrait sortir de la voiture pour aller aider son grand-père, et partager ainsi un bon moment avec lui. Et qui sait, peut-être qu’au détour d’une conversation, le grand-père et le fiston en arriveraient à imaginer un souterrain, où les crapauds pourraient passer en toute sécurité. Mettant ensemble leurs compétences, ils lanceraient une opération de crowdfunding sur Internet, en vue de financer les travaux…  

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