Les casseurs de pierres

par | Sep 22, 2020 | 0 commentaires

En se rendant à Chartres, Charles Peguy aperçoit, sur le bord de la route, un homme qui casse des cailloux à grands coups de maillet. Les gestes de l’homme sont empreints de rage, sa mine est sombre. Intrigué, Peguy s’arrête et demande :
– « Que faites-vous, Monsieur ? »
– « Vous voyez bien », lui répond l’homme, « je casse des pierres ».
Malheureux, le pauvre homme ajoute d’un ton amer :
– « J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide ».
Un peu plus loin sur le chemin, notre voyageur aperçoit un autre homme qui casse lui aussi des cailloux. Mais son attitude semble un peu différente. Son visage est plus serein, et ses gestes plus harmonieux.
– « Que faites-vous, Monsieur ?», questionne une nouvelle fois Peguy.
– « Je suis casseur de pierres. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants. »
Reprenant son souffle, il esquisse un léger sourire et ajoute :
– « Et puis allons bon, je suis au grand air, il y a sans doute des situations pires que la mienne ».
Plus loin, notre homme, rencontre un troisième casseur de pierres. Son attitude est totalement différente. Il affiche un franc sourire et il abat sa masse, avec enthousiasme, sur le tas de pierres. Pareille ardeur est belle à voir !
– « Que faites-vous ? » demande Peguy.
– « Moi, répond l’homme, je bâtis une cathédrale ! »

La fable des casseurs de pierres, attribuée à Charles Peguy.

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Mettons-nous un instant du côté du leader. Le 1er casseur de pierres dirait qu’on lui a demandé de casser des pierres, le 2ème qu’on lui a demandé de construire un mur et le 3ème, de tailler la pierre d’angle du porche de la cathédrale. Pour motiver un collaborateur, rien de tel donc que de lui insuffler du sens dans les tâches à accomplir… Mieux : la vision de l’entreprise…

À noter que cette attitude relève aussi du collaborateur lui-même, ce que laisse entendre Fabrice Midal en évoquant cette histoire : « […] Je ne connais pas de métiers qui aient du sens par eux-mêmes » (Midal 2020 : 114). Ainsi, la caissière, ou le caissier…, d’un grand magasin peut trouver son travail peu gratifiant et sans intérêt : les journées lui paraîtront interminables et pénibles. Ou elle peut y voir des avantages (elle est à l’abri des intempéries) et un intérêt, en particulier celui de rencontrer des gens : les journées lui paraîtront plus courtes et plus agréables. Et cette attitude aura aussi un impact sur les clients, qui seront du coup probablement plus conviviaux. Tout cela pour un même job…

Sans stigmatiser ni caricaturer personne, on pourrait cependant percevoir, dans le 1er casseur de pierres, le fonctionnaire (heureusement, tous ne sont pas ainsi), dans le second l’employé et dans le troisième l’entrepreneur, et également l’associé tel que le définit l’holacracy.

Il semble pourtant manquer un quatrième casseur de pierres. Celui qui présenterait un sourire discret, un élan mesuré dans la tâche, et une présence presque mystique. Et si d’aventure Peguy venait à lui demander ce qu’il fait, ce dernier répondrait vraisemblablement : « J’apprécie l’instant présent en construisant la maison de mon voisin ».

En effet, le troisième casseur de pierres, souvent présenté comme l’exemple à suivre, présente deux risques : celui d’être déçu si finalement la cathédrale devait ne pas se construire (action tournée vers un futur toujours incertain) et celui d’être frustré tôt ou tard, si l’objectif est gouverné par l’ego (forme d’orgueil s’esquissant à travers ses paroles). La plupart des personnes vivent sans objectifs, sans vocation, et passent ainsi à côté de leur vie : ils ont pour objectifs de vivre, plutôt que de vivre pour leurs objectifs.

« La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose que la pierre. Mais de collaborer, elle s’assemble et devient temple », Antoine de Saint-Exupéry

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