La cire et l’eau chaude
« Imaginez un récipient contenant une épaisse couche de cire froide, durcie, dont la surface est tout à fait plate et lisse. Vous prenez une cruche remplie d’eau chaude et vous en répandez un peu sur la cire. L’eau peut librement glisser où elle veut sur cette surface vierge, sans reliefs. Mais, étant chaude, à peine entre-t-elle en contact avec la surface que l’eau en fait fondre le dessus, y imprimant une empreinte peu profonde, comme celle d’un skieur dans la neige poudreuse. Désormais, la cire présente un léger creux, l’eau chaude ayant tracé un chemin pareil au lit d’une rivière. Si, maintenant, vous répandez à nouveau un peu d’eau chaude dans le même récipient, que va-t-il se produire ? Où qu’elle tombe en premier, l’eau, moins libre que la première fois, va immanquablement rejoindre la trace antérieure qui va dès lors guider son écoulement et s’approfondir un peu. Plus vous versez d’eau, plus la même trace se creuse encore davantage, ne laissant plus guère de liberté à l’eau d’emprunter un autre chemin que celui déjà tracé ».
(Clerc, Olivier, 2021 : La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite… et autres leçons de vie, Marabout, pp. 69-70 ; source originale : De Bono, Edward : Lateral thinking).
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Cette histoire pointe l’importance de la première impression et invite à être vigilant quant à ses « débuts ». C’est trivialement le cas de la communication, qui identifie les expressions phatiques comme des expressions destinées à entrer et à sortir de la communication, sans contenu sémantique à proprement parler : « Bonjour, comment vas-tu ? » est une expression qui ne vise pas à savoir comment se sent son interlocuteur, mais à entrer en communication avec lui ; quitte par la suite à lui demander : « À part ça, comment vas-tu vraiment ? ».
Or, ce qui est vrai de l’ouverture et de la fermeture de la communication l’est aussi des débuts (et fin) de journée (se lever du pied gauche), d’une première rencontre, d’un divorce (si on a échoué son mariage, autant réussir son divorce, sans préjuger que tout divorce soit le résultat de l’échec du mariage), d’une prise de fonction, d’un changement de fonction, d’une création d’entreprise… :
« Une bonne fin prépare donc un bon début. Un bon début favorise un bon parcours… et rend plus probable une bonne fin. Et ainsi de suite. » (Clerc 2021 : 78)
Jusque-là, cette histoire peut paraître pétrie de bon sens, voire fleurter avec un truisme. Mais là où réside son intérêt, c’est qu’elle pointe trois autres dimensions peu anodines : l’effet pygmalion, la force de l’habitude et des pensées limitantes et enfin la possible cécité face au changement.
L’effet pygmalion
Quand on imprime une première impression, qu’elle soit positive ou négative, elle va colorer la suite de sa relation à l’autre. Or, « si vous braquez les projecteurs sur les qualités d’une personne, même si elles sont infimes, elles s’accentueront, se développeront jusqu’à devenir prépondérantes » (Gounelle 2008 : 126). Et naturellement l’inverse est aussi vrai. Si donc, lors d’une première rencontre, vous laissez une impression négative à l’autre, cet autre risque de renforcer cette impression à chacune de vos prochaines rencontres, inconsciemment, car les « projecteurs » auront été orientés par la première rencontre.
La force de l’habitude et des pensées limitantes
Il en va de même d’une forme d’auto-effet pygmalion, d’une forme d’auto-conviction, qui peut devenir sclérosante. La première impression (d’une idée, d’une rencontre, d’une entreprise…) fige l’esprit dans des perceptions erronées, dans des visions étriquées de la réalité. Ainsi, convaincu de n’être pas bon dans l’apprentissage des langues, on va se convaincre de ne pas en être capable. Pétri de convictions, on va reproduire les mêmes habitudes, les mêmes actions, les mêmes patterns, sans en explorer d’autres et sans s’interroger sur ses pratiques.
Olivier Clerc donne l’exemple d’une personne qui demande à une autre : « Pourquoi ne mangez-vous pas de viande ? » Et l’autre de lui répondre : « Et pourquoi vous en mangez-vous ? ». Or, cette deuxième question est peut-être plus pertinente que la première, car il est fort à parier que la deuxième personne s’est posé la première question, alors que la première personne ne s’est jamais interrogée sur la deuxième question…
La cécité face au changement
Une première impression peut enfin empêcher d’observer le changement, conséquence de son enlisement dans ses croyances et pensées limitantes. Idéalement, il s’agirait de trouver un équilibre entre un changement permanent et une forme d’immobilisme :
« Il faut […] beaucoup de talent pour garder une entreprise vivante, mobile, en évitant les deux extrêmes que sont, d’un côté, le changement permanent, où ni les employés ni les clients ne s’y retrouvent, et, de l’autre, la stagnation et la cristallisation qui, à un certain point, rendent tout changement difficile, douloureux, voire impossible. » (Clerc 2021 : 86)
Or, ce qui est vrai d’une entreprise l’est aussi de soi-même : ne jamais rien reconsidérer amis, santé, travail, croyances, habitudes… est un risque. Il serait au contraire sage de ne jamais considérer une chose pour acquise et de toujours porter un regard neuf sur soi et son environnement, soit pour s’en émerveiller, soit pour constater qu’un changement est nécessaire. Cette hygiène de vie serait aussi un formidable outil de résilience, permettant à la fois de consolider sa zone de confort et de l’élargir :
« Empruntons une autre route. Achetons un magazine que nous n’avons jamais lu. Essayons la cuisine d’un autre pays ou une alimentation différente. Plongeons-nous dans les croyances d’un autre peuple, d’une autre religion. Inversons les rôles une semaine avec notre conjoint. Mangeons de la main gauche […]. Jeûnons une journée. Passons un mois dans la chasteté. Restons un jour en silence. » (Clerc 2021 : 90)
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