L’homme qui voulait être heureux

Références:
Gounelle, Laurent
L’homme qui voulait être heureux
2008
Résumé
Dans ce roman « philosophique », un enseignant et amateur de photographie rend visite à un guérisseur lors d’un séjour à Bali. Dès la première séance, le guérisseur pose son diagnostic : « Vous êtes quelqu’un de malheureux » (2008 : 17). La suite de leurs échanges et les expériences que le héros va être invité à réaliser vont alors tourner autour d’un concept général : l’importance des pensées et des croyances, qui façonnent l’univers dans lequel on évolue : « Quand on est convaincu d’une chose, elle devient la réalité, notre réalité » (2008 : 26).
Nos croyances créent notre univers
Pas à pas, le sage démontre au héros que l’importance des croyances, à commencer par la manière de se percevoir (beau, moche, gros, maigre…), qui impacte notre manière de se tenir, de se comporter et de parler, ce qui amène les autres à nous percevoir tel qu’on se voit : « Quand on se voit moche, les autres nous voient moche » (2008 : 22) ; « Quand on croit quelque chose sur soi, que ce soit en positif ou en négatif, on se comporte d’une manière qui reflète cette chose » (2008 : 24-25).
Les origines de ces croyances seraient multiples. Elles nous viendraient d’une part des parents (Bourbeau 2020), puis à titre d’exemple des enseignants, évoquant un exemple édifiant d’effet Pygmalion. Elles nous viendraient d’autre part des principales expériences de vie, parmi lesquelles naturellement les échecs, vécus trop personnellement. Plus généralement, « on se met à croire des choses sur soi à partir de ce que d’autres nous disent ou de ce que l’on déduit inconsciemment de certaines expériences qu’on a vécues » (2008 : 32).
Cet ensemble de croyances va conduire à des formes de comportements qui vont alimenter et conforter ces croyances. Et ce renforcement circulaire conduit à réifier l’univers dans lequel on évolue :
« [Les êtres humains] ne cherchent pas la vérité, ils veulent seulement une certaine forme d’équilibre, et ils arrivent à se bâtir un monde à peu près cohérent sur la base de leurs croyances. Cela les rassure, et ils s’y accrochent inconsciemment. » (2008 : 49)
Cet univers va à son tour conditionner notre façon de percevoir le monde sensoriel (visuel, auditif, olfactif…), à l’instar de l’indien dans une grande ville : « Nos croyances vont nous amener à filtrer la réalité, c’est-à-dire à filtrer ce que l’on voit, entend et ressent » (2008 : 51). Ainsi, si on perçoit le monde comme étant dangereux, on sera attentif à tout élément potentiellement anxiogène, voire interpréter des signes anodins comme des confirmations de dangers. À l’inverse, si on perçoit le monde comme étant amical, on sera plutôt attentif à des signaux confirmant cette vision, voire enclins à interpréter des signes anodins comme étant amicaux ; on s’approchera des gens avec beaucoup moins de réserves. Les croyances vont donc déterminer nos comportements, eux-mêmes modelant l’univers dans lequel on évolue : « […] Ceux qui croient qu’il faut à tout prix se méfier des autres trouvent naturel de rencontrer des gens fermés, désagréables, même s’ils le déplorent par ailleurs. […] Finalement, sans se rendre compte, chacun se crée vraiment sa propre réalité, qui n’est, en fait, que le fruit de ses croyances » (2008 : 54).
Et ces croyances nous enferment dans des comportements, des attitudes, des pensées limitantes, bridant notre liberté d’agir et de penser : « Cette absence de liberté n’avait pas pour origine un terrible dictateur, mais seulement ce que chacun croyait sur lui, les autres et le monde » (2008 : 154). Et ce qui est vrai de l’individu l’est également du groupe, développant ainsi d’autres formes de croyances qui conditionnent nos perceptions :
« Quand on raisonne par groupes, par ensembles, par camps, on fait abstraction des particularités, de la valeur et de l’apport de chaque individu, et on tombe facilement dans le simplisme et la généralisation. […] On battit des théories qui servent nos croyances. Et non seulement la plupart de ses théories sont fausses, mais elles poussent les gens à devenir ce que la théorie dit qu’ils sont. » (2008 : 120)
L’impact de nos croyances sur notre réalité
Le vieux guérisseur n’invite pas seulement le héros à prendre conscience de la manière dont nos croyances créent notre univers de manière diffuse, mais également sur leur impact réel et tangible, démontré par exemple dans de nombreuses études médicales dans le domaine pharmaceutique. Ainsi, un placebo serait aussi efficace que la morphine dans plus de 50% des cas. De même, « on avait administré à des malades un placebo présenté comme de la chimiothérapie et 33 % d’entre eux avaient intégralement perdu leurs cheveux » (2008 : 75) [ndlr : en 1983, le British Stomach Cancer Group avait proposé un nouveau traitement de chimiothérapie, en précisant qu’une perte des cheveux serait probable. Plus de 30 % des patients ont effectivement perdu leurs cheveux, alors que le traitement n’avait pas encore commencé (effet nocebo) ; seul un placebo avait été administré].
Les freins au bonheur : l’absence d’objectifs, les pensées limitantes et les non-choix
Le guérisseur avait posé un diagnostic initial sans appel : « Vous êtes quelqu’un de malheureux » (2008 : 17). Il lui propose alors peu à peu trois remèdes principaux pour finalement dépasser les pensées limitantes à l’origine de son malheur.
1. Le premier frein au bonheur est de ne pas avoir d’objectifs, de ne pas connaître sa vocation : « Parce que le défi stimule notre concentration, et que c’est lui qui nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes » (2008 : 141). Un exercice consiste à s’imaginer un monde où tout est possible, sans limites : que feriez-vous ? Cet exercice vise à identifier ce qui est vraiment important (au quotidien et dans sa vie) de ce qui est futile. Exercice similaire : le sage invite le personnage à faire l’exercice d’une mort annoncée : « Imaginez que vous allez mourir ce soir, et que vous le savez depuis une semaine » (2008 : 141). Ces deux exercices doivent permettre de transcender les pensées limitantes pour imaginer des objectifs réellement inspirants.
2. On touche là au second frein au bonheur : les pensées limitantes. L’idée serait de consacrer 70% de son temps à ses rêves et 30% à ce à quoi on pourrait renoncer en cas de mort annoncée. Or, dans la réalité, la proportion est largement inversée. Le guérisseur invite donc le jeune homme à consacrer plus de temps à ce qui fait sens pour lui.
Mais en listant ses rêves, et ce qui pourrait empêcher de les réaliser, le héros identifie rapidement des freins à la réalisation de ses aspirations. Or, le sage lui demande « comment on peut se mettre à croire que l’on n’est pas capable de faire une chose ? » (2008 : 92). Réponse :
« Quand il existe quelque part une question, souvent non formulée consciemment, à laquelle on n’a pas de réponse. […] Un exemple : si vous ne savez pas répondre à la question « Comment puis-je concrètement réaliser ce projet ? », alors vous risquez de penser « Je ne suis pas capable de le réaliser », ce qui est une croyance limitante […] Pour y répondre, il vous sera nécessaire de descendre davantage dans les détails […] Vous démystifierez ce projet en listant précisément tout ce que vous aurez à faire pour le réaliser […]. » (2008 : 92-93)
Ce découpage du projet, second outil pour transcender les pensées limitantes, n’est pas sans rappeler le traitement des tensions dynamiques en holacracy ou la méthode GTD et serait très souvent à l’origine de la procrastination.
3. Le troisième frein au bonheur serait l’incapacité à faire des choix. À l’absence d’objectifs et aux pensées limitantes, qui proviennent de l’enfance, de l’école, des expériences, des échecs, etc. s’ajoute l’incapacité à faire des choix : « Si vous ne renoncez à rien, vous vous abstenez de choisir. Et quand on s’abstient de choisir, on s’abstient de vivre la vie que l’on voudrait » (2008 : 97). Or, pensées limitantes et choix sont liés : « Plus on évolue dans sa vie, plus on se débarrasse des croyances qui nous limitent, et plus on a de choix. Et le choix, c’est la liberté » (2008 : 143). Le maître ajoute : « […] C’est précisément lorsque vous vous autorisez à choisir des actions qui sont en harmonie avec vous, qui respectent vos valeurs et expriment vos compétences, que vous devenez très précieux pour les autres » (2008 : 143).
Le vieux maître laisse d’ailleurs une dernière lettre au jeune occidental, dans laquelle il est notamment écrit ce qui lui faisait tant défaut :
« […] La capacité de faire un choix qui vous coûte, et donc de renoncer à quelque chose, autrement dit de faire des sacrifices pour avancer sur votre voie. […] Le chemin qui mène au bonheur demande parfois de renoncer à la facilité, pour suivre les exigences de sa volonté au plus profond de soi. » (2008 : 160)
Une vie réussie
Le bonheur ne serait pas d’accumuler de l’argent en évitant les problèmes. Le vieux guérisseur lui résume ainsi une vie réussie :
« Une vie réussie est une vie que l’on a menée conformément à ses souhaits, en agissant toujours en accord avec ses valeurs, en donnant le meilleur de soi-même dans ce que l’on fait, en restant en harmonie avec qui l’on est, et, si possible, une vie qui nous a donné l’occasion de nous dépasser, de nous consacrer à autre chose qu’à nous-mêmes et d’apporter quelque chose à l’humanité, même très humblement, même si c’est infime. Une petite plume d’oiseau confiée au vent. Un sourire pour les autres. » (2008 : 136)
Cette définition du bonheur n’est pas sans rappeler celle de Léon Tolstoï mise en exergue dans le film Into the wild (réalisé en 2007 par Sean Penn) :
« J’ai vécu bien des choses et je crois avoir trouvé maintenant ce que requiert le bonheur. Une vie tranquille et retirée à la campagne, avec la possibilité d’être utile à des gens à qui l’on peut faire du bien et qui n’ont pas l’habitude qu’on leur en fasse, un travail que l’on espère de quelque utilité et puis le repos, la nature, les livres, la musique, l’amour de son prochain. Telle est mon idée du bonheur. » (Tolstoï : Le bonheur conjugal)
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