Petit traité de non-violence

par | Oct 24, 2021 | 0 commentaires

Références:

Cornette de Saint Cyr, Xavier

Petit traité de non-violence : À la lumière du jaïnisme

Jouvence

2016

Résumé

Xavier Cornette de Saint Cyr présente, à travers ce petit livre, les origines, les enseignements et les applications contemporaines du jaïnisme. Puisant ses origines 10’000 ans avant notre ère, l’essor de cette religion non théiste serait contemporain au bouddhisme, soit au VIe avant J.-C. Il partage d’ailleurs avec ce dernier un grand nombre d’enseignements : tout comme dans le bouddhisme, le chemin au travers du samsara (cycle des réincarnations) doit permettre de vider son karma (actions, paroles ou pensées négatives) afin d’atteindre le moksa (libération des cycles).
Mais la clé de voûte du jaïnisme est la non-violence, définie comme un refus « de se servir de la violence comme d’un instrument ou d’un moyen pour obtenir ce que l’on désire » (2016 : 8). La non-violence s’exprime de manière passive (ne pas faire de mal ; ne nuire à personne) et active (faire du bien ; participer au bien-être de tous). Cela en faisait à l’époque une religion très en avance sur son temps, puisque le respect s’appliquait aussi bien aux femmes qu’aux hommes (ce qui n’était pas le cas de la religion bouddhiste par exemple) aux animaux et plus largement à la nature.
Gandhi, par son exemple, en fut le plus grand ambassadeur moderne, lui qui dira : « La non-violence est la plus grande force que l’humanité ait à sa portée » (cité par de Saint Cyr 2016 : 84). Dans le même sens, Léon Tolstoï (cité par de Saint Cyr 2016 : 77) aurait dit : « Ce n’est pas la violence, mais le bien qui supprime le mal ».

1. Le quintuple vœu
Le cœur de l’enseignement jaïn serait le respect de « la vie sous toutes ses formes avec la non-violence comme devoir suprême » (2016 : 18). Le principe de non-violence (ahimsã) « se caractérise par l’altruisme, la générosité, le courage, l’ouverture, la tolérance et la maîtrise de soi […] » (2016 : 112). Il se fonde sur un code moral déclinant cinq fautes graves dont il faudrait s’abstenir (2016 : 35) :

    1. La violence : toute violence à l’égard de tout ce qui est vivant ou sensible est à éviter, que ce soit en actes, en paroles ou en pensées.
      a) La violence par les actes est la plus évidente à saisir : frapper, torturer, tuer, violer… Plus largement, ne pas prendre soin ou abîmer un objet volontairement est aussi considéré comme une violence. La non-violence active, ce serait tenir la porte à quelqu’un, venir en aide, donner une caresse, mais aussi la manifestation non violente, le sitting…
      b) La violence par les paroles est très fréquente : critique, colères, insultes, notamment au travers des réseaux sociaux… Et « combien de blessures naissent d’un manque d’écoute, d’un manque d’attention et d’une parole qui blesse » (2016 : 89). À l’inverse, l’auteur cite Thich Nhat Hanh pour illustrer la non-violence active : « Il est très important de savoir écouter avec compassion. Écouter avec compassion, c’est écouter avec la volonté de soulager l’autre de sa souffrance, sans le juger ni chercher la dispute » (cité par de Saint Cyr 2016 : 82, 107). Font aussi partie de la non-violence en paroles (et en pensées) la tolérance et le respect de l’avis d’autrui, ne serait-ce que parce que la vérité est toujours protéiforme.
      c) Si la violence à travers les actes et les paroles est assez évidente, la violence par les pensées consiste à éviter et à activement écarter les pensées négatives : « Avant de vouloir faire la révolution pour les autres, faites d’abord la révolution dans vos têtes » (John Lennon, cité par de Saint Cyr 2016 : 60). Cette conception de la violence, qui n’est pas sans rappeler le conte des deux loups, peut être résumée ainsi : « Chaque être humain a une disposition à la violence et une inclination à la non-violence. À tout instant, ce qu’il décide résulte d’un choix. C’est sa responsabilité de donner libre cours à sa part d’ombre ou de faire flamboyer sa part de lumière » (2016 : 81).
    2. Le mensonge : au mensonge viennent s’ajouter la médisance, la moquerie, la calomnie ; cela fait écho au 1er accord toltèque ainsi qu’aux trois tamis attribués à Socrate. Au contraire, défendre un absent, du seul fait qu’il est absent, ou soutenir une opinion non-violente, aussi minorisée soit-elle, seraient des actes de non-violence active : « La non-violence, c’est dire du bien d’autrui, ou, si on ne le peut pas, s’abstenir d’en dire du mal » (2016 : 98).
    3. Le vol : la complicité de vol, l’escroquerie, le plagiat et le vol des idées en font partie. Le partage et les actes charitables seraient les formes actives de non-violence : « […] Nous sommes nombreux à acquérir des biens non fondamentalement utiles ou nécessaires (et qui régulièrement, d’ailleurs, nous laissent assez insatisfaits !). Mais nous pouvons nous libérer du besoin parfois presque obsessionnel de posséder (c’est souvent le besoin de combler un manque) » (2016 : 98-99).
    4. Le manque de chasteté : cela inclut le viol, la zoophilie, l’inceste, la pédophilie, mais aussi le harcèlement sexuel. Sans exiger le célibat (réservé aux ascètes), le jaïnisme prône en particulier la fidélité et l’acte sexuel empreint d’amour.
    5. L’attachement : portant d’abord sur la dimension matérielle (avidité, envie, jalousie…), l’idée est de « ne pas désirer plus que ce dont on a besoin, ni accumuler démesurément des choses » (2016 : 42). Il s’agirait donc d’une forme de dépouillement pondéré, en se fixant des limites (pour éviter l’accumulation des richesses) et en pratiquant la charité (version active de la non-violence). Mais l’attachement porterait aussi sur les personnes (trouver le bon équilibre entre indifférence et dépendance), voire sur les pensées et les émotions : « […] L’absence d’attachement supprime le désir. On n’en est plus l’esclave » (2016 : 44). Enfin, l’attachement couvre aussi l’idolâtrie (par exemple d’acteurs ou de sportifs) et somme toute une forme commune d’idolâtrie, l’ego

Deux dimensions de la violence sont considérées dans le jaïnisme : d’une part la distinction entre violence passive et violence active (respectivement la non-violence passive et la non-violence active) et d’autre part la prise en considération de l’intention de la violence, élément clé du principe de non-violence (ahimsã).

2. Le caractère plus ou moins intentionnel de la violence
Le jaïnisme prévoit quatre types de violences, qui déterminent en partie le caractère délibéré ou non de la violence.
La violence accidentelle, par exemple la violence faites aux insectes en roulant en voiture (parebrise), voire la nécessité d’éliminer les insectes xylophages s’attaquant à la charpente d’une maison, ne comporte pas d’intention mauvaise. Elle ne charge donc pas le karma.
Au contraire, la violence intentionnelle : une agression, un harcèlement, un meurtre, une chasse non respectueuse, une insulte, un vol, voire le fait de couper des fleurs pour en faire un bouquet (2016 : 54), est fermement condamnée. Son corolaire serait de ne pas répondre à l’agressivité par l’agressivité (loi du Talion : « Œil pour œil, dent pour dent ») et de faire preuve de « tolérance ou indifférence à l’égard de ceux qui sont discourtois ou se conduisent mal » (2016 : 57). Or, il faut bien l’admettre, la tentation (pensées) peut-être grande de vouloir contre-attaquer, d’une manière (actes) ou d’une autre (paroles), lorsqu’on est animé par un sentiment d’avoir été déçu, trahi, humilié, etc. : dans la souffrance, on devrait s’abstenir d’infliger aux autres des souffrances. La version active de la non-violence serait donc l’intégrité en regard du principe de non-violence.
Demeurent deux autres formes de violences, qui permettent de relativiser le concept global. La violence professionnelle, en tant qu’exercice d’une profession violente, est à proscrire : boucher ou tanneur (à nuancer s’il y a bientraitance de l’animal), producteur d’armes ou d’explosifs (mais ces derniers peuvent servir aussi dans les carrières ou le déclenchement d’avalanches par exemple), producteur de cigarettes, et naturellement proxénète, dealer… Le principe de base serait donc : « Gagner sa vie de façon honorable revient à exercer une activité qui ne soit pas nuisible » (2016 : 49).
Enfin, la violence défensive ou protectrice permet de relativiser l’ensemble et de mettre en exergue l’intention première de ses actes, paroles ou pensées, et le caractère parfois actif de la non-violence. Que ce soit l’autodéfense, la défense d’une personne vulnérable, la justice ou la police (dans son sens étymologique), elles font partie de cette violence « légitime » :

« Gandhi, l’apôtre de la non-violence, avait dit : “En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface comme en profondeur.” Mais il avait également prononcé une phrase qui, dans sa bouche, a eu un poids considérable : “Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai la violence.” » (2016 : 51)

On retrouve très largement ces principes dans nombre de religions, invitant d’une part à la non-violence et d’autre part à considérer l’autre (humain, animal, végétal) comme son égal. La règle d’or pourrait se traduire ainsi d’une formule passive à une formule active :

 

Formule passive

Formule active

En actes « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse » « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fasse »
En paroles « Ne dites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous dise » « Dites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous dise »
En pensées « Ne souhaitez pas aux autres ce que vous ne vous souhaitez pas à vous-même »  « Souhaitez aux autres ce que vous vous souhaitez à vous-même »

3. Une application très contemporaine : environnement et alimentation
Le jaïnisme semble très progressiste pour son époque. Non seulement elle englobait le respect de la femme, ce qui allait très au-delà du contexte social de l’époque, mais également le respect de la nature (leur engagement pour l’environnement est par exemple très marqué, à travers notamment l’implication des jaïns dans le WWF et dans de nombreuses « Déclarations » sur l’environnement), avec une incidence très directe sur les habitudes alimentaires.
Les jaïns sont en effet végétariens et excluent l’usage du cuir ou de la fourrure : « Être végétarien ne se résume pas à une vision restrictive : s’abstenir de consommer de la chair animale. C’est être à la fois vigilant quant à la composition de ce que l’on mange et attentif à ne commettre aucune nuisance pour se nourrir, se vêtir, se véhiculer, se distraire, se soigner, etc. » (2016 : 65). À titre d’exemple, outre la viande (et le poisson), le vin (car l’ivresse conduirait à la violence), le miel (car volé aux abeilles) ou encore les produits cosmétiques ayant été testés sur des animaux, sont prohibés. Pour l’anecdote, certains ascètes veillent à un respect absolu de la non-violence en « portant sur le visage le muhapatti (masque de coton pour ne pas avaler d’insectes ou inhaler des créatures microscopiques) ou utilisant un petit balai pour éviter, en marchant, d’écraser une créature vivante, même infime » (2016 : 66).
Mais ces dernières pratiques, qui peuvent paraître excessives et caricaturales, ne devraient pas occulter la clé de voûte du jaïnisme : la non-violence, avec pour corolaire, la tolérance.

« Adopter une alimentation végétarienne est une chose, l’imposer en est une autre. […] Proposer et donner envie, oui, mais exiger ou obliger, non » (2016 : 68)

Le jaïnisme invite ainsi à participer activement au bien collectif, par des actes aussi minimes soient-ils, mais sans l’imposer.

Pour conclure
À l’aune de trois exemples, il est possible de montrer à la fois la puissance et les limites d’un modèle « extrême » de non-violence. En effet, l’auteur précise qu’il « serait absurde de vouloir vivre une non-violence absolue car elle ne peut être que relative, c’est-à-dire reliée à la réalité. Si un acte de non-violence dégénère en une violence plus grande que l’on pouvait empêcher, il devient effectivement absurde – par exemple, si je refuse de frapper une personne agressant violemment une autre personne » (2016 : 53) :

« Le monde est davantage menacé par ceux qui tolèrent le mal que par ceux qui s’emploient à le faire » (Einstein, cité par de Saint Cyr 2016 : 54).

1. Les zoos. La critique des zoos (2016 : 72, 75) pourrait ainsi être questionnée : la vie en liberté peut être très pénible, voire atroce, pour certains animaux, alors faut-il les laisser « crever » dans leur environnement, ou leur offrir le gîte et le couvert dans un environnement sécurisant et bienveillant, qui comprend la bientraitance (exemple : zoo de la Garenne) ?

2. L’animal de compagnie. Les politiques mondiales (OMC) poussent les pays émergeant à produire de la viande, non seulement pour remplir les assiettes des pays nantis, mais également pour la gamelle de leurs animaux de compagnie. Dès lors, un végétarien ne devrait-il pas commencer par renoncer à son animal de compagnie ? Mais alors, sachant que les animaux de compagnie sont souvent le dernier rempart à la solitude pour nombre de personnes, n’est-ce pas également une violence que de leur demander d’y renoncer ?

3. Le véganisme. Présenté comme découlant du principe de non-violence, n’est-il pas en contradiction avec la nature omnivore de l’humain ? Le véganisme « extrémiste » n’est-il pas une violence faite à son propre corps ? Dans Sapiens, Yuval Noah Harari met le doigt sur le passage du chasseur-cueilleur (peu de viande ; beaucoup de fruits, fruits à coque, légumes, racines…) à l’agriculteur-éleveur (blé, premier envahisseur de la planète, viande, lait…). Au regard d’un régime alimentaire inscrit génétiquement, vaut-il mieux manger une viande de qualité, en quantité raisonnable et respectueuse de l’animal, ou des tomates cultivées à grand renfort d’eau, de pesticides et d’engrais chimiques, sous serre (Pauli 2018 : 156) ? Avoir conscience de ce que l’on mange, privilégier dans son régime alimentaire la nourriture vivante (fruits et légumes de proximité et de saison), sans bannir une nourriture morte (manger de la viande : « […] Si vous prélevez de la vie pour votre vie, ayez de la gratitude », Rabhi 2018 : 41) de qualité et en modération, et manger des graines et des fruits secs, selon les besoins ancestraux de l’organisme, telle serait peut-être la voie moderne d’une forme non-violence équilibrée ( ?).

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