Le philosophe qui n’était pas sage

Références:
Gounelle, Laurent
Le philosophe qui n’était pas sage
2021
Résumé
S’il fallait récapituler ce roman en quelques mots, il se résumerait en une forme d’allégorie dénonçant la déconnexion de l’humain à la nature : à travers l’histoire de cinq hommes pernicieux pervertissant une tribu primitive amazonienne, l’auteur pointe les ressorts d’une société occidentale corrompant l’humain. À noter que face aux actions délibérément nauséabondes de ces cinq hommes, l’histoire peut rendre le lecteur parfois mal à l’aise, voire lui inspirer un sentiment de frustration.
Sandro, professeur de philosophie dans une université, décide de prendre un congé sans solde pour se rendre en Amazonie, à la rencontre d’une tribu primitive, réputée le « peuple le plus heureux de la Terre » (2012 : 35). Cette dernière serait à l’origine de la mort de son amie Tiffany et son objectif est la vengeance : se venger en les rendant malheureux « chaque heure, chaque minute, chaque seconde de leur vie » (2012 : 41).
Pour se rendre dans ce village très isolé, il s’entoure de Krakus, un guide « mercenaire », et de ses trois acolytes. Arrivés sur place, pour satisfaire son client (assouvir sa vengeance) et ainsi gagner plus d’argent, Krakus va tenter de distiller le malheur dans le village, d’abord sans succès :
-
- Il salit des linges en train de sécher : tentant d’influencer négativement la femme qui les nettoie à nouveau, celle-ci lui répond : « Les salissures ont quitté mon linge depuis longtemps, mais elles n’ont pas encore quitté ta tête » (2012 : 56), faisant écho au conte des deux moines et de la jeune fille.
- Il sabote le plus beau des arcs : tentant d’influencer négativement le chasseur qui en était propriétaire, celui-ci répond : « Cet objet n’existe plus. Pourquoi serais-je déçu de quelque chose qui n’existe pas ? », rappelant que toute chose est impermanente et qu’il faut vivre l’instant présent : « Mais hier a disparu, mon ami. Nous sommes aujourd’hui, toujours aujourd’hui » (2012 : 57).
- Il veut rendre jaloux un jeune de la tribu, en proférant un mensonge concernant une soi-disant infidélité : « “Elle a couché avec un autre homme, merde !” Awan le regarda sereinement. “Tu sais, elle ne va pas s’user…” » (2012 : 59).
- Etc.
Sandro, ayant étudié de manière très approfondie la tribu, va brosser un portrait de la source de leur « bonheur » et des recettes pour injecter du « malheur », conseillant Krakus dans les ressorts à utiliser. Peu à peu, ce dernier, soutenu par ses complices, va ainsi déstabiliser le village. Et ces ressorts, qui caricaturent la société occidentale, vont rendre la tribu profondément malheureuse :
Bonheur |
Malheur |
Vivre en harmonie et en symbiose avec la nature. | Grâce à une machine, le « vidophore », métaphore du téléviseur et des écrans, les rendre apathique. Les déconnecter de la nature, comme Pierre Rabhi a souvent pu le souligner. |
Vivre en communauté et en harmonie dans la grande hutte (maloca). | Les isoler dans des huttes individuelles et les faire payer pour recevoir des messages distribués par des enfants, métaphore du SMS : « On va leur faire croire que les relations humaines se limitent à des échanges d’informations, de messages » (2012 : 146). |
Vivre l’instant présent sans se soucier du passé ou du futur. | Grâce au « Jungle Time », métaphore du téléjournal, créer la peur: « […], Ozalee avait créé un léger vent de panique en annonçant au Jungle Time que les estimations de Gody faisaient craindre des pénuries de fruits dans la forêt. Il n’y en aurait sans doute plus pour tout le monde, avait-elle rapporté. Du coup, chacun s’était mis accueillir tout ce qu’il pouvait pour stocker, et l’on avait rapidement constaté que les fruits venaient à manquer. Élianta avait tout de suite compris que la prévision s’autoréalisait » (2012 :178) ; « saper le moral en mettant fin à leur vision positive de la vie » (2012 : 68) : « Heureusement, le Jungle Time était toujours suivi d’une séance relaxante de vision du vidophore. Quelle belle invention que cet objet qui permettait de tout oublier et de se détendre sans plus penser à rien… » (2012 : 91). |
Ne pas juger les événements et avoir une vision positive de la vie. | Apprendre à étiqueter comme mauvaises des choses à priori neutres et hors de son cercle d’influence : « Ils doivent apprendre à appeler la pluie “mauvais temps”, les jeunes pousses de “mauvaises herbes”, certaines senteurs des “mauvaises odeurs”, etc. » (2012 : 70). |
Ne pas juger les personnes. | Créer l’individualisme ; créer de la compétition ; apprendre à se méfier des autres ; développer des réflexes de violence ; se comparer les uns les autres ; créer des modèles inatteignables : « Certes, pour les égayer un peu [les palissades], Krakus avait fait réaliser des peintures, de grandes fresques colorées qui représentaient des scènes de vie. Chose surprenante, les femmes représentées étaient toutes très minces, et pourtant elles avaient des seins très gros » (2012 : 143). |
Vivre en symbiose avec l’environnement et la nature, en se contentant de puiser le nécessaire. | Pousser à la surconsommation : « On va leur faire croire que de vulgaires objets ont le pouvoir d’enchanter leurs âmes embrumées » (2012 : 241) ; remplir leur vide intérieur par des choses matérielles : « On va vendre des pansements pour les ego blessés, des rustines pour l’estime de soi en fuite » (2012 : 259) ; créer la frustration : « D’un côté, on va susciter le désir de ces sucreries en les mettant incessamment sous les yeux des Indiens, et de l’autre, on va continuer de leur faire croire qu’un beau corps est un corps mince » (2012 : 267). |
Apprendre par l’expérience. | Mettre sur un piédestal l’intelligence logico-mathématique : « On va leur [les enfants] enseigner des milliards de choses au niveau mental, et on ne va rien leur apprendre aux autres niveaux » (2012 : 204). |
Le roman se veut une allégorie criante de la perversité de la société occidentale moderne ; les différentes péripéties se veulent riches en enseignements ; la chute se veut romanesque ; mais la lecture n’en demeure pas moins par moments révoltante…
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