Les quatre nobles vérités et l’octuple sentier du Bouddha

par | Mar 3, 2022 | 0 commentaires

Références:

Miquel, Chritian

Les quatre nobles vérités et l’octuple sentier du Bouddha : de la souffrance à l’éveil

Jouvence

2017

Résumé

Partant du discours fondateur du bouddhisme, le sermon de Bénarès (sermon de Sarnath), l’auteur passe en revue les quatre nobles vérités, qui permettent de prendre conscience, de comprendre, et finalement de relativiser les 5 formes de souffrance :

« Voici, ô moines, la noble vérité sur la souffrance. La naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance. Être séparé de ce que l’on aime est souffrance, être uni à ce qu’on n’aime pas est souffrance, ne pas avoir ce qu’on désire est souffrance. En résumé, les cinq composants de l’homme sont souffrance. » (Bouddha, sermon de Bénarès, cité par Miquel 2017 : 23, 27)

La première noble vérité : il y a de la souffrance dans la vie, car tout est impermanent

L’humain ne pouvant pas s’extraire de la souffrance, car « qu’on soit dans le monde ou qu’on veuille le quitter, l’homme est de toute façon confronté à la souffrance » (2017 : 24), il va connaître des souffrances liées à des facteurs apparemment extérieurs (comme la perte d’un être proche suite à une maladie ou comme la perte de ses biens lors d’une inondation). Pourtant, ces souffrances seraient d’abord le fait d’un mécanisme interne, celui du désir (soif), dont le principal aurait un caractère métaphysique (immortalité) : « […] L’homme souffre de devoir affronter les maladies et la mort, de devoir partir sans savoir ni pourquoi, ni où, ni comment » (2017 : 26).
Fondamentalement, on rencontrerait des difficultés à vivre le changement et à accepter l’impermanence de toute chose et de tout être. Ainsi, le bouddhisme, plutôt que de présenter une vision pessimiste de la vie, présenterait une vision réaliste : « […] Essayer de voir la vie comme elle est : fugace, transitoire, pleine de souffrances et de joies toujours relatives, car tout change perpétuellement » (2017 : 28).

Partant du constat, depuis synthétisé par Antoine Lavoisier, selon lequel « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », le bouddhisme considèrerait que tout se transforme perpétuellement et n’aurait donc aucune existence durable. Or, ce qui est vrai des choses le serait aussi des pensées, des idées, des émotions, et finalement de soi-même : « Ce que nous croyons être un individu, un “moi” stable, n’est en fait qu’une combinaison de forces psychiques et de sensations en perpétuel changement » (2017 : 31). Ainsi, un « soi » fixe (âtman : soi, sujet transcendantal, âme…) n’existerait pas, puisque cinq agrégats de base (expérimentés au travers de la méditation) attesteraient de son changement incessant :

1. Des petites douleurs ou inconforts physiques ;
2. Les sollicitations des cinq sens ;
3. La mise en mot de ces deux premiers agrégats ;
4. La naissance d’un besoin de bouger pour agir ;
5. Des formations mentales en regard des trois premiers agrégats.

« L’ensemble de la vie peut s’expliquer comme une combinaison toujours changeante de ces cinq agrégats de la matière, des sensations, perceptions, volitions et actes de conscience, sans besoin de recourir à un principe ultime, âme ou autre » (2017 : 33).

Comprendre les mécanismes systémiques en jeu (interdépendance de cinq agrégats en perpétuel changement) implique des notions comme la réincarnation ou le karma. Mais si « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », il n’est pas encore dit, à travers la réincarnation, qu’il y aurait un processus arithmétique du un pour un. De même, le principe de karma (somme des actes du passé) se baserait sur l’idée d’interdépendance (coproduction conditionnée), sans considérer naïvement un lien de causalité prédictible ou mécanique entre les actes du passé et les événements du futur.
En somme, la souffrance proviendrait d’une incapacité fondamentale à accepter que tout est impermanent, à commencer soi-même (immortalité).

La deuxième noble vérité : passer des désirs profanes au désir métaphysique

Le désir est d’abord associé aux biens matériels et à la réussite sociale (égotique), voire à l’attachement à l’être désiré ou à sa perte. Or, cette soif s’expliquerait par le fait qu’on aurait l’illusion qu’en comblant ces désirs, on atteindrait la paix.
Pourtant, face à l’impermanence de toute chose, « à peine l’objet désiré obtenu, une frustration ou une insatisfaction latente resurgit-elle, […] comme si une frustration, un principe d’inassouvissement fondamental, creusait le manque à la base de tout désir […] » (2017 : 44). Il s’agirait donc d’un cercle vicieux : en assouvissant sa soif, on cherchait à trouver une situation stable et permanente aussi évanescente qu’insaisissable, menant à une nouvelle frustration, que l’on tenterait à nouveau d’assouvir, sans fin… Il faudrait donc prendre conscience que derrière la quête de biens matériels, de pouvoir ou autres, il y aurait l’envie d’échapper à l’inquiétude et la frustration engendrées par l’impermanence.
Plus encore, la recherche de cette paix « stable » contiendrait une dimension métaphysique, celle d’un « soi » fixe (âtman), qui serait là aussi illusion : « La soif du désir est ainsi, plus profondément, une soif d’être, de pouvoir se reposer dans un état stable et permanent » (2017 : 46). On toucherait ici au cœur de l’originalité du courant bouddhiste, à savoir la non-promotion d’un « soi » fixe (âtman : soi, sujet transcendantal, âme…) :

« À l’inverse de tous les autres grands fondateurs de religion qui invitent à échapper à la souffrance en cherchant à rejoindre un principe transcendant, le Soi, l’âme ou Dieu, Bouddha est le seul à diagnostiquer de manière radicalement nouvelle et proprement révolutionnaire que l’homme souffre justement parce qu’il a soif d’éternité et d’immortalité, parce qu’il ne cesse de vouloir s’échapper dans un autre monde stable, refusant sa contingence et l’impermanence du devenir. » (2017 : 47)

Ainsi, la soif d’être, qui pousserait à posséder et à réussir toujours plus, ainsi que son corolaire, la soif du non-être, dans une volonté désespérée de fuir la souffrance liée à la soif d’être, par l’ascétisme ou le suicide, seraient voués à l’échec. Bouddha prône la voie du milieu, qui consisterait à ne pas considérer le désir comme mauvais, mais l’attachement au désir d’être stable, qui lui serait source de souffrance : entre une pulsion de mort (soif de non-être, anéantissement, suicide) et une pulsion de vie (soif d’être aux travers des biens, de la stabilité, de l’immortalité), la voie la voie du milieu inviterait à une prise de conscience et à un accueil de sa propre finitude, remèdes à la souffrance (quatrième noble vérité).

La troisième noble vérité : vivre en paix dans ce monde en quittant la réactivité

L’auteur résume ainsi la troisième vérité :

« La cessation de la souffrance est possible grâce à la cessation de la soif ontologique qui nous pousse à vouloir être sur un monde stable. Cela implique également une fin de la réactivité aux événements, ainsi que l’acceptation radicale de l’impermanence » (2017 : 54).

Or, contrairement aux interprétations qui ont pu en être faites, le nirvana ne serait pas, selon l’auteur, une sorte de paradis dans l’au-delà, mais un état qui pourrait être atteint ici et maintenant : « […] C’est précisément parce qu’il ne recourt pas comme les autres fondateurs de religion à un principe transcendant, qu’une délivrance au sein même de cette vie – et non dans une autre vie – est envisageable » (2017 : 57). Le nirvana serait alors défini comme « processus de cessation des facteurs qui nous enchaînent à la souffrance » (2017 : 61).
Or, il faudrait d’abord « prendre conscience du phénomène de réactivité qui nous amène à réagir à chaque stimulus ou sensation qui nous parvient par nos sens » (2017 : 61). Tout comme Stephen Covey a pu l’identifier comme la première des sept habitudes – la proactivité –, l’enjeu serait donc de laisser un espace entre le stimulus et la réaction. Face aux sollicitations internes et externes, le cinquième agrégat (formations mentales) dépendrait de soi : « L’attachement et la répulsion que nous projetons sur les objets de nos désirs sont des mécanismes mentaux qui dépendent de nous, sans consistance profonde, dont nous pouvons donc nous défaire » (2017 : 57). Il s’agirait donc de cesser de réagir par attachement au désir ou par répulsion, car la réactivité serait le facteur entraînant la souffrance de la soif :

« C’est parce que je réagis automatiquement, instinctivement, aux sensations et à la situation que je rentre dans le schéma de l’attachement et de l’aversion, et donc de la souffrance. Il est d’autant plus important de repérer cette réactivité qu’elle est répétitive : si on réagit toujours de la même manière face à la peur, cette dernière s’ancre d’autant plus fortement en nous […]. » (2017 : 62)

Ainsi, pour atteindre le nirvana, il faudrait lâcher-prise, disposer d’une distance libératoire, en comprenant les mécanismes à l’œuvre et en prenant conscience des facteurs en jeu. En d’autres termes, en sortant de la réactivité :

« Pour entrapercevoir la possibilité de cette cessation de la souffrance et de la soif, il faut donc être capable, à la fois d’une analyse et d’une compréhension des facteurs qui nous enchaînent afin d’en découvrir l’impermanence profonde, et d’un état d’esprit concentré et stable, détaché de toute convoitise.
[…] Capacité d’observation de ce qui se passe d’une part, concentration calme et apaisée d’autre part : tel est le couple fondamental, […] voie d’accès à la troisième vérité libératoire de nirvana. » (2017 : 58-59)

En se libérant de la réactivité, il serait alors possible « de voir et de vivre les événements impermanents du monde tels qu’ils se manifestent et disparaissent, sans les juger ni rien projeter sur eux » (2017 : 66). Se libérer de la réactivité et disposer d’une forme de calme seraient donc « le couple fondamental » à développer. Pour y parvenir, il faudrait emprunter l’octuple chemin (quatrième noble vérité).

La quatrième noble vérité : appliquer les remèdes à la souffrance dans la voie du milieu

Dernière composante des quatre nobles vérités, l’octuple sentier regroupe les huit remèdes complémentaires pour se délivrer de la souffrance, organisés en 3 modes (éthique, méditation, sagesse) :

« Chaque membre étant nécessaire et complémentaire des autres : on a besoin sur ce chemin autant d’une éthique juste pour la vie quotidienne, que d’une activité attentive et régulière de méditation afin de se déconditionner et se transformer, que d’une quête de sagesse et de compréhension aussi intellectuelle qu’intuitive, par le cœur. » (2017 : 135)

On pourrait rétorquer que la souffrance ne serait pas uniquement de son propre fait, et qu’on serait souvent tributaire de facteurs externes qui engendrent de la souffrance.
C’est bien le sens de la première noble vérité : il y a de la souffrance dans la vie. Cependant, selon l’auteur, « nous seuls sommes responsables de nos souffrances, et aptes à y mettre fin » (2017 : 93), par l’octuple sentier. Ce dernier ne viserait donc pas à supprimer la souffrance, mais à ce que la souffrance soit moins fréquente, moins intense et dure moins longtemps (résilience).

Les quatre nobles vérités constitueraient donc un processus exigeant de « guérison » de la souffrance (constat -> diagnostic -> pronostic -> prescription), non pas transcendant (mais dans le ici et maintenant), non pas miraculeux (il s’agirait plus d’un entraînement, d’une préparation, que d’un état), pour tendre finalement à l’équanimité

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