Le guerrier pacifique

par | Avr 11, 2023 | 0 commentaires

Références:

Millman, Dan

Le guerrier pacifique

J’ai lu

1998

Résumé

Ce roman autobiographique – Dan Millman a été champion du monde de gymnastique à Londres en 1964 – raconte l’initiation de « Dan » par Socrate, un pompiste qui devient son maître spirituel.
Dan – athlète de haut niveau en mal de vivre – étudie à l’université de Californie, Berkeley. Une nuit, après un cauchemar qui se répète assez régulièrement, il va prendre l’air et se rend finalement dans une station-service ouverte toute la nuit. Il y fait une rencontre paranormale, un pompiste qu’il surnomme Socrate. Ce dernier va l’initier à l’art du guerrier : « Guerriers, nous nous appelons guerriers, nous nous battons pour la haute vertu, pour les grandes causes, pour la sagesse suprême, et c’est pourquoi nous nous appelons guerriers » (Auguttara Nikaya, cité par Millman 1998 : 13).
Face au mal-être persistant de Dan, Socrate tente de lui faire comprendre que ce qu’il croit savoir, ses connaissances (inutiles), ses idées préconçues, sont un miroir déformant et partial de la réalité, qui le conduisent à la souffrance :

« En ce moment, tu es une masse embrouillée de circuits tordus et d’habitudes démodées. Il te faudra changer ta manière d’agir, de penser, de rêver et de voir le monde. » (1998 : 129)

Ainsi, la réalité, construite et subjective, n’aurait rien de réel : « De même qu’il existe différentes interprétations du passé et de nombreuses manières de changer le présent, il existe un grand nombre de futurs possibles » (1998 : 63). Faisant allusion aux reflets au fond d’une grotte (métaphore de Platon), il résume ainsi ses propos : « Obsédés par ce jeu d’ombres, ces gens s’habituèrent à cette sombre réalité et en devinrent prisonniers. Tous les gens à travers le monde sont prisonniers de la Caverne de leur propre esprit » (1998 : 234-235).

Évoquant le conte de la tasse de thé, il poursuit sa réflexion en encourageant à passer de ces idées préconçues à la connaissance de soi : « Tu détiens nombre de faits et d’opinions, mais tu ne sais presque rien de toi-même. Avant de pouvoir apprendre, il te faudra commencer par vider ton réservoir » (1998 : 27). Vider son réservoir (« tes ordures »), cela signifierait se libérer de ses croyances, de ses opinions et de ses convictions, mais aussi de ses illusions, qui seraient autant de « barreaux invisibles » qui empêcheraient de vivre l’instant présent. Cette voie ne serait pas aisée, car la vie quotidienne serait adoucie « par cette quête conditionnée du succès et de l’amusement, [permettant d’esquiver] la source fondamentale de ta souffrance » (1998 : 66).

L’origine de la souffrance serait donc liée à ces dimensions superficielles externes (attachement), qui anesthésieraient partiellement, mais qui, en même temps, empêcheraient d’atteindre une dimension interne plus profonde, seule à même d’atteindre un bonheur durable et véritable :

« Si tu n’obtiens pas ce que tu désires, tu souffres ; si tu obtiens ce que tu ne désires pas, tu souffres ; et même lorsque tu obtiens exactement ce que tu veux, tu souffres encore parce que tu ne peux pas le garder éternellement. C’est ton mental qui crée cette situation. Il veut s’affranchir du changement, de la douleur, des obligations de la vie et de la mort. Mais le changement est une loi dont rien ne diminuera la réalité. […] La vie n’est pas souffrance ; simplement toi tu souffriras, au lieu d’en jouir, jusqu’à ce que tu abandonnes tous les attachements de ton mental pour t’élancer sans entraves, quoi qu’il advienne. » (1998 : 67-68)

Pour élaguer ces pensées intempestives (« pensées délirantes, désordonnées, stupides ; sentiments de culpabilité, peurs, désirs – du bruit », 1998 : 85), produites constamment par le mental, Socrate propose 6 principaux remèdes :

1. Calmer son mental par la méditation
2. Porter son attention sur l’instant présent
3. Accueillir les événements en privilégiant la non-résistance
4. Maîtriser ses émotions
5. Opérer des choix de manière consciente
6. Cultiver l’amour inconditionnel

Tout ceci pour tendre au bonheur.

1. Calmer son mental par la méditation

Le principal outil proposé est la méditation : « Tu apprendras à méditer chacune de tes actions. Mais au début, méditer assis sert de cérémonie, c’est un moment spécial que l’on se réserve pour intensifier la pratique » (1998 : 106). Pour cela, il faudrait aussi savoir s’arrêter pour contempler : « J’arrêtais de prendre des notes. J’étais trop occupé à absorber les couleurs et les matériaux de la pièce et sentir les énergies des gens qui m’entouraient » (1998 : 50) :

« […] Je n’avais jamais appris à jouir de la vie. Je ne savais qu’accomplir. » (1998 : 189)

Il s’agirait ainsi peu à peu de maîtriser ses pensées : « Tu seras libéré de l’agitation du monde dès que tu auras calmé tes pensées. Souviens-toi : dès que tu te sens troublé, abandonne tes pensées pour t’occuper de ton esprit ! » (1998 : 93).

2. Porter son attention sur l’instant présent

Parallèlement, Dan est encouragé à rechercher le satori : « [Cet état de conscience] se produit lorsque l’esprit est libre de toute pensée : conscience pure » (1998 : 177). Et pour Socrate, le satori (similaire au flow) devrait être recherché à chaque instant : « Le dernier pas, pour le guerrier, consiste à étendre cette clarté à toute sa vie » (1998 : 178).

L’attention serait ainsi l’une des clefs de voûte de l’enseignement de Socrate. Et d’ajouter : « L’ennui, vois-tu, est fondamentalement une incapacité de percevoir la vie ; l’ennui, c’est la perception prisonnière de l’intellect. Il te faudra perdre ton mental avant de retrouver tes sens » (1998 : 194).

Socrate donne l’exemple trivial et pourtant si parlant de l’alimentation : « De toutes les activités humaines, manger est l’une de celles qu’il faut stabiliser en premier » (1998 : 133). Prendre le temps de manger en conscience, pratiquer le jeûne intermittent, privilégier une alimentation saine sont autant de conseils dispensés par le maître :

« L’ironie de tes habitudes actuelles consiste à avoir peur de rater un repas tout en n’étant pas pleinement conscient des repas que tu prends. » (1998 : 136)

Tout comme l’alimentation serait importante, la respiration serait fondamentale, car « en contrôlant ta respiration, tu dénoues tous les nœuds émotionnels » (1998 : 150). On retrouve ici les dimensions de souplesse et d’accueil, versus de rigidité et de résistance.

L’auteur fait un détour en confrontant l’attention à l’argent. À la question de savoir si les riches sont plus heureux que les pauvres, Socrate propose en effet l’équation « bonheur = satisfaction / désirs » : « Si tu as assez d’argent pour satisfaire tes désirs, Dan, tu es riche. Mais il y a deux manières d’être riche : tu peux gagner, hériter, emprunter, mendier ou voler assez d’argent pour assouvir tes désirs coûteux, ou bien tu peux vivre une vie simple avec peu de désirs. De cette manière, tu as toujours plus d’argent qu’il ne t’en faut » (1998 : 197). Et de conclure :

« Donner toute mon attention à chaque instant est mon désir et mon plaisir. L’attention ne coûte rien : le seul investissement est l’entraînement. […] Le secret du bonheur, vois-tu, ne consiste pas à rechercher toujours plus, mais à développer la capacité d’apprécier avec moins. » (1998 : 197)

Il s’agirait donc de vivre dans l’instant présent, ici et maintenant : « […] Reste dans le présent. Tu ne peux pas modifier le passé et le futur ne se déroulera jamais exactement de la manière dont tu le prévois ou le souhaites. […] Reste où tu es. Le pentacle est l’instant présent. […] Maintiens simplement ton attention dans l’instant présent, Dan, et tu seras libre de toute pensée. Lorsque les pensées heurtent le présent, elles se dissolvent. » (1998 : 199-203).

3. Accueillir les événements en privilégiant la non-résistance

« […] Quand tu résistes à ce qui arrive, ton mental s’emballe ; en vérité, tu crées précisément les pensées qui te dérangent » (1998 : 92) ; « Seul le mental est trahi, menacé par le changement. Si donc tu te détends dans ton corps, l’esprit au repos, tu seras heureux et libre, et tu ne ressentiras aucune séparation [entre le corps et l’esprit] » (1998 : 103). La détente du corps ne serait d’ailleurs pas qu’une métaphore : il s’agirait physiquement d’accueillir plutôt de se crisper.
Socrate fait également un lien entre accueil et émotions : « Lorsque ton esprit crée un problème, lorsqu’il résiste à la vie telle qu’elle se présente dans l’instant, ton corps se crispe et ressent cette tension comme une “émotion”, interprétée selon le cas par les mots “peur”, “tristesse” ou “colère” » (1998 : 130).
Évoquant le conte du moine face à l’adversité, il invite donc non seulement à accueillir les événements, mais à traverser les émotions sans attachement : « Laisse se manifester et laisse se dissiper » (1998 : 152).

4. Maîtriser ses émotions

L’auteur fait pourtant la part belle à la colère, qui n’est pas présentée comme nécessairement négative : « La colère est l’un de tes outils principaux pour modifier de vieilles habitudes. […] La peur et la tristesse freinent l’action, vois-tu ; la colère l’engendre. Lorsque tu auras appris à utiliser correctement la colère, tu pourras transmuter la peur et la tristesse en colère, et la colère en action » (1998 : 130) :

« […] Le secret du changement consiste à concentrer ton énergie pour créer du nouveau, et non pas pour te battre contre l’ancien. » (1998 : 130)

« Parfois, il est approprié d’exprimer la peur, la tristesse ou la colère – mais l’énergie devrait être dirigée totalement vers l’extérieur et non pas retenue. L’expression d’émotions devrait être totale et puissante, puis disparaître ensuite sans laisser de traces. Contrôler tes émotions consiste donc à les laisser s’exprimer et à les laisser se dissiper » (1998 : 130-131).

5. Opérer des choix de manière consciente

« Toute habitude en elle-même – tout rituel automatique et inconscient – est négative. Mais une activité spécifique – fumer, boire, prendre des drogues, manger des sucreries ou poser des questions stupides – n’est ni bonne ni mauvaise ; chaque action a son prix, et ses plaisirs » (1998 : 154). Sans prôner la modération – « La modération ? C’est la médiocrité, la peur et la confusion déguisées. C’est la tromperie raisonnable du diable. C’est le compromis qui ne satisfait personne. La modération est pour les faibles et les peureux, pour ceux qui sont incapables de prendre une position. » (1998 : 155) –, le maître résume ainsi sa pensée : « Ce n’est pas fumer qui est malsain, mais l’habitude de fumer » (1998 : 155). Il invite ainsi à faire des choix avec conscience et en connaissance de cause, tout en évitant de développer des habitudes néfastes : « 99 pour 100 des gens dans le monde se suicident. […] La plupart des gens vivent d’une manière qui les tue […]. Ils mettent trente ou quarante ans pour se tuer en fumant, en buvant ou en mangeant trop, mais c’est aussi une forme de suicide » (Millman 1998 : 82).

L’auteur ajoute que ces choix ne devraient pas être conditionnés par les autres, par le qu’en dira-t-on ou encore par ses propres croyances : « J’avais constaté la futilité de vouloir vivre en fonction des attentes conditionnées par les autres ou par mon propre intellect » (1998 : 161). Plus encore, il faudrait s’émanciper, être indifférent, à tout commentaire évaluatif :

« Sur le chemin que tu as choisi, il n’y a ni louange ni blâme. Les louanges et les blâmes sont des formes de manipulation dont tu n’as plus besoin. » (1998 : 151)

6. Cultiver l’amour inconditionnel

Pour Socrate, l’épée du guerrier serait l’amour, l’amour inconditionnel, rendu possible par le fait de voir la lumière derrière le masque de toute personne. Évoquant l’histoire d’une femme sainte se donnant à des lionceaux, il met en exergue la futilité de la vanité, en regard de l’amour :

« La réussite ne mène à rien. […] Soyez simplement heureux, maintenant ! L’amour est la seule réalité du monde […]. » (1998 : 249)

Le bonheur véritable naîtrait ainsi en se mettant au service de l’autre, des autres. Dans la version cinématographique, cette dimension est sublimée par une mise en perspective de cet amour inconditionnel : « Les personnes les plus difficiles à aimer sont souvent celles qui en ont le plus besoin ».

Tout ceci pour tendre au bonheur

Ces six remèdes auraient pour effet de marcher pas à pas sur le chemin du bonheur :

« Le bonheur est le seul pouvoir qui compte. Et tu ne peux pas atteindre le bonheur ; c’est lui qui t’attend – mais seulement quand tu as renoncé à tout le reste. » (1998 : 217)

Faudrait-il renoncer à tout ? Faudrait -il vivre démuni et s’écarter du monde (vivre chichement dans une grotte) ? Vivre dans la vraie vie, avec des responsabilités familiales, professionnelles, etc. ne contrarierait-il pas une forme d’illumination, de paix intérieure, de bonheur stable et durable ? Si les six préceptes ci-dessus conduisent vraiment à une forme d’illumination, la vie ordinaire, avec tous ses fatras de contrariétés et de stress, ne nous amènerait-elle pas à les mettre de côté, à nous replonger dans les travers obstruant le bonheur ? Une solution existerait-elle pour vivre sereinement dans un monde vécu comme oppressant ?
Socrate y répond à travers l’histoire métaphorique de Milarepa et conclut ainsi :

« L’illumination n’est pas quelque chose que l’on atteint, Dan, c’est une réalisation. Lorsque tu te réveilles, tout change et rien ne change. Si un aveugle se rend soudain compte qu’il peut voir, le monde a-t-il changé ? » (1998 : 225)

On en revient ainsi à l’idée de fond selon laquelle nous serions gouvernés par des connaissances (inutiles), des idées préconçues, « une masse embrouillée de circuits tordus et d’habitudes démodées » (1998 : 129), qui conduiraient à la souffrance. Elles alimenteraient des pensées dont il s’agirait de se défaire : « Toutes les quêtes, tous les succès, tous les buts étaient aussi appréciables les uns que les autres et aussi superflus » (1998 : 238). En portant un autre regard sur le monde (réveil – éveil), le monde ne changerait pas, mais la manière de le voir, de le concevoir, changerait : « Je pouvais jouer le jeu sans me sentir impliqué » (1998 : 128).
À l’aune de cette conclusion, on comprend mieux l’héritage spirituel que le maître laissera à Dan, devenu guerrier à son tour : « Tu écriras et tu enseigneras. Tu vivras une vie ordinaire. Tu apprendras à rester ordinaire dans un monde troublé auquel, en un sens, tu n’appartiens plus. Reste ordinaire et tu pourras aider les autres » (1998 : 242).

Il existe une adaptation cinématographique, réalisée par Victor Salva en 2006.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Partager