Résilience

par | Oct 22, 2023 | 0 commentaires

Références:

Cyrulnik, Boris & Jorland, Gérard (dir.)

Résilience : connaissances de base

Odile Jacob

2012

Résumé

Dans cet ouvrage collectif, la résilience est définie comme « un processus biologique, psychoaffectif, social et culturel qui permet un nouveau développement après un traumatisme psychique » (2012 : 8). Elle est abordée sous douze angles différents.

1. Origine et évolution du concept de résilience

Dans ce chapitre, Serban Ionescu retrace d’abord l’origine du mot et de concepts apparentés, parmi lesquels la pseudorésilience, l’invulnérabilité, l’épanouissement ou encore la reconfiguration. Il passe ensuite en revue l’évolution conceptuelle du terme, qui voit défiler un cortège de concepts, comme les qualités requises pour réussir (courage, piété, moralité), la psychologie positive ou encore l’empowerment.
Enfin, l’auteur clôt l’évolution du concept de résilience en évoquant la distinction entre résilience individuelle, de groupe, voire sociale, les mécanismes individuels ou collectifs de résilience ainsi que les différents instruments (2012 : 32) d’évaluation de la résilience.

2. Modèle animal et résilience

Dans ce chapitre, Claude Béata fait référence aux animaux, avec un axe spécifique sur le chien, et conclut en observant que la résilience n’est pas propre à l’humain et que, par conséquent, elle aurait des racines biologiques.

3. Neurobiologie de la résilience

Pierre Bustany pose le cadre en introduction à son chapitre : « On recense à ce jour une douzaine de systèmes de réponses cérébrales au stress » (2012 : 45), observant que notre capacité à faire face au stress est liée :

« – à notre mécanisme de motivation et de récompense cérébrale qui contrôlent notre hédonie, notre optimisme, notre capacité à résister ;
– à notre système inné et acquis de réaction au danger qui contrôle la crainte, l’alarme, le degré de danger imminent ressenti ;
– à notre système de comportement social qui contrôle notre altruisme, la qualité de nos relations et de nos attachements. » (2012 : 45)

Les différentes réactions neurobiologiques « sont globalement activatrices au début pour sauver le sujet, puis inhibitrices et restauratrices à la fin pour pallier le coût neuronal métabolique et fonctionnel extraordinaire de cet acte guidé par la survie » (2012 : 63).

Tout en passant en revue cette « large cascade de réponses hormonales » de gestion complexe du stress – réalisée en 3 étapes, à savoir des réponses immédiates, retardées et tardives –, l’auteur observe que « leur mise en jeu chronique et itérative, très fréquente dans les conditions de vie moderne, change la donne » (2012 : 46). Il observe par exemple que « le stress important ou chronique s’accompagne toujours d’une réponse immunitaire diminuée » (2012 : 57).

Le fait que la résilience ait une part biologique a comme conséquence d’être en partie héréditaire, tant en termes purement génétiques (si on a le « gène de la dépression », on le transmet) mais également en termes de transmission lors de traumatismes violents : « Tous les aléas de la vie affectent nos gènes, et le malheur des parents retentit directement sur les petits-enfants » (2012 : 61). L’auteur note à ce propos que cette transmission n’est pas nécessairement négative : « La transmission de ces modifications acquises aux nouveaux descendants permet une préadaptation aux conditions nouvelles du milieu auxquelles ont dû s’adapter et survivre les parents […] » (2012 : 60), faisant de cette transmission un atout évolutif important au niveau de l’espèce. Mais, « en revers, tout stress et tout traumatisme psychologique intenses déclencheront sa trace dont la durée marquera quelques générations » (2012 : 62).

4. Résilience affective

La résilience résulte « du maillage complexe entre des aptitudes individuelles (psychiques, cognitives, comportementales) et des compétences psychoaffectives familiales. Ces dernières peuvent être complétées, ou éventuellement suppléés, par des ressources issues de l’environnement social » (2012 : 64). Ainsi, tant les ressources intrinsèques que les ressources extrinsèques favorisent la résilience.
Marie Anaut, faisant une distinction entre le réseau familial et le réseau socio-environnemental comme ressources extrinsèques, résume ainsi les trois piliers de la résilience :

« Le processus de résilience prend appui sur un tripode composé de facteurs d’ordre interne aux sujets (particularités singulières, capacités et aptitudes cognitives, éléments de personnalité, modalités défensives…), de facteurs d’ordre familial et psychoaffectif (soutien et qualité des relations familiales et périfamiliales…) et de facteurs relevant du contexte socio-environnemental (étayages amicaux et sociaux, soutiens communautaires, religieux, idéologiques…). » (2012 : 66)

En définitive, la prédictibilité de résilience ne dépend pas que des seules facultés internes, mais aussi de l’environnement affectif et social, et plus ce dernier sera diversifié, plus les « tuteurs de résilience » (famille, voisin, ami, professionnels du social, professionnels de la santé mentale ou physiques, mentors…) seront nombreux, plus ils pourront offrir des alternatives comme vecteur de résilience.

5. Résilience psychologique

Le processus de résilience à double détente – défense et protection, puis restauration et reconfiguration – se retrouve tant dans les processus neurobiologiques (la décharge d’adrénaline va permettre l’attaque ou la fuite ; l’injection d’endorphine va permettre de trouver un équilibre) que dans la résilience affective (certains tuteurs de résilience vont intervenir dans la première phrase, et possiblement d’autres vont prendre le relais dans la deuxième phase) ou encore dans la résilience psychologique.
Dans ce dernier cas de figure, Claude de Tychey et Joëlle Lighezzolo-Alnot passent en revue les outils participant au processus de résilience. Ils donnent l’exemple du déni (qui rend dans un premier temps la douleur supportable), de la mentalisation (« mise en mots des affects de la souffrance ») et du travail sur l’estime de soi. Ils concluent leur chapitre en évoquant des outils cliniques, tels que l’échelle de dépression, l’inventaire d’anxiété état-trait, l’inventaire de deuil compliqué ou encore le questionnaire Traumaq, ainsi que nombre d’échelles dites de résilience.

6. Résilience et famille

La famille est un tuteur de résilience souvent prépondérant lorsque l’un de ses sujets est confronté à un traumatisme. Mais Michel Delage signale aussi les traumatismes collectifs (par exemple catastrophe naturelle), qui impliquent une « résilience groupale ». Il observe aussi, lors d’un traumatisme individuel, la contagion que ce dernier peut avoir sur une partie ou l’ensemble de la famille.
À la question de savoir ce que peut être une résilience familiale, l’auteur répond qu’« on peut considérer la résilience familiale comme ce qui permet à une famille de retrouver ou de maintenir une fonctionnalité efficiente, de se dégager des expériences vécues et de transformer le traumatisme en histoire transmissible » (2012 : 104). Les conditions de cette résilience familiale se situent à différents niveaux qui s’influencent les uns les autres. L’auteur énumère ainsi pêle-mêle la création d’une fondation bienfaitrice, le rétablissement de routines ou de rituels collectifs, la mise en récit des événements dans le but d’une compréhension partagée du sens, en y remettant de l’ordre et du sens, etc.
Il conclut en soulignant qu’« appuyée sur la fonction réflexive et la conscience intersubjective, la mentalisation rend possible un travail de construction de la réalité, de transformation psychique à plusieurs et de transmission aux autres (en particulier à la descendance) d’une histoire sans laquelle il ne peut être question de résilience » (2012 : 114).

7. Résilience et vieillissement

Dans ce chapitre, Antoine Lejeune et Louis Ploton se concentrent sur la vieillesse, qui aurait comme pendant le fait de se préparer à mourir, en articulant :

– des ressources internes, comme l’humour, l’autonomie, l’altruisme, la flexibilité, la sublimation…, qui sont non seulement des facteurs de protection, mais qui apportent la distance nécessaire et l’apaisement émotionnel ;
– d’autres ressources internes, où « l’essentiel se situe dans la possibilité de se dégager du statut de victime, dans la création de liens et de sens » (2012 : 120), notamment en vue de produire un bilan de vie positif ;
– la personnalité, dont le Big Five (stabilisation émotionnelle, ouverture, caractère consciencieux et agréable, extraversion) : « Certaines personnes ont la capacité d’amortir les émotions, de métaboliser les situations critiques, d’élaborer les deuils, d’accepter la réalité, de tolérer les frustrations » (2012 : 121) ;
– des ressources externes, comme le réseau social, qui évite l’isolement et la solitude face à l’épreuve, ou la présence de tuteurs, qui aident la personne à prendre conscience de ses ressources et à les mobiliser.

Parallèlement, dans la résilience associée au vieillissement, la mémoire, tantôt traumatique, tantôt heureuse, peut jouer un rôle central : « Il y a donc des mémoires qui entravent la possibilité d’une résilience et des mémoires qui constituent un support de résilience » (2012 : 126). Ainsi, comme d’autres facteurs (l’isolement, le non-sens, la honte…), la mémoire peut parfois devenir un facteur d’antirésilience.

8. La culture comme source de résilience

Michel Tousignant porte son attention sur les facteurs favorisant la survie du groupe, en évoquant notamment l’exemple des Crows (tribu d’indiens d’Amérique), des Quichuas (peuple équatorien), ou encore des peuples aborigènes. Il signale en préambule que « la mise en valeur par les sociétés occidentales du succès individuel, de la réalisation de soi et de l’hédonisme de consommation occulte l’importance de la culture pour permettre aux peuples de surmonter les grands bouleversements de l’histoire ou les cataclysmes naturels » (Cyrulnik & Jorland 2012 : 137).

Parallèlement, revenant sur le génocide du peuple juif (Holocauste), il observe parfois des ruptures générationnelles rendant difficile la métabolisation du traumatisme : « Les parents font le choix de cacher à leurs enfants les histoires horribles vécues par eux avant que ceux-ci naissent ou durant les premières années de leur vie » (2012 : 143). Il observe par exemple que « les traumas infligés aux peuples vaincus par l’histoire du colonialisme […] ont eu pour conséquence d’affaiblir la résilience de ces peuples » (2012 : 145). Ainsi, l’estime de soi d’un groupe serait déterminante.

Il en va de même de la religion, qui peut jouer, tant au niveau individuel qu’au niveau du groupe, un rôle de vecteur aidant à passer à travers les épreuves de la vie. L’auteur donne l’exemple de l’exil :

« C’est surtout dans le sens attribué aux évènements que la religion aide à faire le passage et à retrouver rapidement un esprit de lutte. En l’occurrence, elle empêche de se camper dans un statut de victime, de contempler et d’exhiber son malheur pour attirer la compassion. L’exil, plutôt que d’être vécu comme une punition, est vu comme la possibilité d’échapper à la mort et de recommencer à neuf. Bref, pour oublier son passé, il faut entrevoir l’avenir » (2012 : 147-148).

En conclusion, il relève qu’il « existe des ingrédients qui cimentent le courage comme la foi religieuse, la solidarité familiale, les vertus de persévérance et de générosité qui constituent la trame de siècles d’enseignements culturels et de pratiques quotidiennes » (2012 : 150).

9. Histoires de vie et résilience

Le récit de vie peut « se montrer révélateur de résilience émancipatrice ou enfermement dans les mots, illusion réaliste ou trompeuse fiction » (2012 : 153). En tant que récit émancipateur, « le récit que je fais me construit en me rendant auteur de ma vie, non simplement acteur agi par elle » (2012 : 155). La mise en récit permet de créer de la cohérence autour des événements traumatiques et de tisser les liens entre le passé et l’avenir.
Mais Martine Lani-Bayle attire l’attention sur le fait que cette mise en mot peut aussi amener à ressasser les événements, à réactiver la souffrance initiale. Toutefois, « quand le trauma est intégré à la suite chronologique des évènements de la vie, la spirale des retours au point d’effondrement n’a plus lieu. Le sujet a reconstruit une temporalité naturelle des évènements de sa vie » (2012 : 168).

10. Art et résilience

Dans ce chapitre, Silke Schauder se demande comment l’art peut « fonctionner comme un tuteur de résilience » (2012 : 173). L’art pourrait avoir des fonctions défensives et réparatrices, notamment par ses capacités sublimatoires.
Plus encore, « l’écriture notamment rassemblerait “en une seule activité le maximum de mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation” » (2012 : 179), avec toujours ce risque de ressasser le passé et d’alimenter ainsi le souvenir du traumatisme. Parallèlement, considérant que l’activité de sublimation aurait pour fonction de « réparer […] un narcissisme endommagé » (2012 : 183), qu’elle serait « une tentative de maîtrise, une reprise en main a posteriori, une réappropriation de la situation » (2012 : 185), l’auteur conclut que « les cas d’échec de la sublimation montrent que l’œuvre ne peut pas toujours étayer ni colmater le narcissisme malmené de son auteur » (2012 : 187).

11. Limites de la résilience

Boris Cyrulnik passe en revue les différentes limites de la résilience, qui doit être pensée en termes systémiques :

Limites biologiques : le fait que l’on soit soumis à une détermination génétique dans certaines de nos capacités de résilience (notamment en regard de la plus ou moins grande capacité à « transporter de la sérotonine ») ne signifie pas que nous soyons déterminés par notre génétique ;
Limites sensorielles : chez l’enfant, le rôle de la mère, « étoile majeure » (2012 : 194), est centrale, mais peut être suppléée par d’autres niches sensorielles ;
Limites affectives : les enfants n’ayant pas bénéficié d’un attachement sécure présentent un facteur de vulnérabilité, mais peuvent disposer de tuteurs de résilience pour les soutenir ;
Limites psychologiques : certains mécanismes facilitent la résilience (mentalisation, sublimation, humour…), d’autres l’entravent (l’agressivité, la régression, l’hypocondrie, le refoulement…), mais bien souvent, ces mécanismes sont ambivalents, pouvant être mécanismes de défense salutaire dans un premier temps, et mécanismes entravant le processus de résilience dans un second temps : rêverie, déni, refuge dans le travail…
Les limites institutionnelles : il ressort que le milieu se conjugue avec les ressources internes pour déclencher le processus de résilience. Mais il peut aussi avoir un effet opposé, en enfermant le sujet dans une spirale de l’échec, se présentant alors comme autant de « prophéties autoréalisatrices » (2012 : 200). Ainsi, concernant les enfants maltraités, l’auteur observe que « ce qui détermine la répétition de la maltraitance [à l’âge adulte], c’est l’abandon des enfants maltraités et non pas la maltraitance » (2012 : 201).
Limites socioculturelles : si l’environnement socioculturel peut être propice à la résilience (par la solidarité par exemple), il peut aussi entraîner le sujet dans la crise : sectes fanatiques profitant de la vulnérabilité du sujet ; bandes organisées (gangs) instrumentalisant une restauration de l’image du sujet (caïd). Ainsi, l’auteur donne l’exemple d’une femme agressée :

« Quand une femme est agressée sexuellement dans un contexte familial et culturel qui l’encourage à se défendre, une résilience sera possible ; quand la culture dit qu’une femme violée est devenue une souillure qui déshonore sa famille, la résilience sera pratiquement impossible. » (2012 : 202)

De même, dans un contexte social précaire, les « déchirures traumatiques, flagrantes ou insidieuses, sont fréquentes, entraînant une usure de l’âme, un découragement qui facilite la victimisation » (2012 : 203).

L’auteur résume ainsi son chapitre conclusif :

« Étudier la résilience, c’est simplement se demander quelles sont les conditions qui permettent de reprendre un nouveau développement après une agonie traumatique. La réponse, pluridisciplinaire, exige l’intégration dans un système indivisible de données hétérogènes, biologiques, affectives, psychologiques, familiales, sociales et culturelles. Dans cette constellation de déterminants, chaque domaine a ses limites » (2012 : 203).

Il note cependant que parmi cette constellation de déterminants, trois facteurs entravent fortement la résilience : la solitude, le non-sens et la honte. Il ajoute qu’« il n’y a pas de causalité unique, les facteurs qui interviennent dans le processus résilient sont nombreux et hétérogènes. Cette difficulté de méthodologie de la recherche nécessite l’association de disciplines différentes. Toutefois, dans les fonctionnements systémiques, il suffit souvent d’intervenir sur un seul sous-système pour entraîner un processus qui améliore le système tout entier » (2012 : 204).

12. Philosophie de la résilience

Gérard Jorland conclut l’ouvrage en consacrant un chapitre à l’histoire vraie d’un petit enfant victime d’un accident de la route, et sortant « du coma, après plusieurs semaines, hémiplégique, agraphique, aphasique et incontinent » (2012 : 205). À travers son processus de résilience, l’auteur observe tour à tour qu’« une résilience psychique peut induire une résilience neurologique » (2012 : 208) et que « la résilience n’est pas possible sans […] des “tuteurs de résilience” » (2012 : 208). Ce jeune garçon choisira le sport comme tuteur central, mais semblera finalement en devenir prisonnier, amenant à la question de savoir s’il ne faudra pas, dans ce cas-là, « s’engager dans une résilience de résilience » (2012 : 211) : « La résilience apporte des satisfactions narcissiques qui peuvent aller jusqu’à la jouissance. C’est le cas de notre jeune garçon. Le sport lui procure un plaisir quasi érotique. Il ne s’agit plus de se défaire d’une souffrance, mais de renoncer à une jouissance » (2012 : 210).
Il n’empêche, celui qu’on avait d’abord pris pour mort, qui aurait pu rester un légume végétant toute sa vie, a réussi un processus de résilience en conjuguant une résilience psychique, une résilience neurologique et un réseau de tuteurs déterminants. L’auteur conclut ainsi son approche de la résilience : « L’importance philosophique de la résilience, outre qu’elle met fin à la plainte, selon l’injonction de François Roustang, c’est de distendre le déterminisme psychologique qui veut expliquer les comportements, les désirs, les agissements, les choix d’un sujet, bref, le décours de son existence, par les évènements sociaux ou familiaux qui opèrent comme des causes » (2012 : 211-212) :

« C’est bien parce que nos choix ne sont pas infinis, parce qu’ils doivent s’exercer dans un contexte donné et entre un nombre limité d’alternatives que nous avons, précisément, le choix. » (2012 : 212)

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