Se reconstruire

Références:
Nabati, Moussa
Se reconstruire : surmonter les épreuves de la vie et s’épanouir
2024
Résumé
Moussa Nabati, psychanalyste, développe une réflexion autour de la transformation d’épreuves personnelles en évolutions positives, à partir de deux situations :
– Mélanie, femme mûre, belle, avec des moyens financiers, et pourtant malheureuse.
– Victor, médecin oncologue émérite, qui s’effondre pourtant à la mort de sa fille.
Ces deux personnes ont été frappées par des épreuves dans leur enfance et l’auteur articule sa pensée autour de leur DIP respective (dépression infantile précoce). Il fait en effet un lien entre leur DIP non traitée dans l’enfance et leur réaction disproportionnée face à une épreuve à l’âge adulte. Leur DIP referait surface de manière violente à l’âge adulte, témoignant du conflit entre l’adulte – raison, rationalité, dialectique, prise de recul – et l’enfant intérieur – émotions, émotionnalité, manichéismes, réactions. Clivages et refoulements, à l’œuvre durant l’enfance, auraient permis la survie de l’enfant face à l’épreuve traumatique (agents protecteurs). Mais ces clivages et refoulements, salvateurs à ce moment-là, parce qu’ils n’auraient pas été traités, exacerberaient l’émotionnalité à l’âge adulte, faisant apparaître certains aléas de l’existence comme dramatique (disproportionnalité – même si l’auteur reconnaît aussi qu’il n’y a pas d’échelle ou de balance de la souffrance, qui est largement individuelle).
Moussa Nabati échafaude sa réflexion autour du principe selon lequel la complexité du monde ne peut pas se résumer à des couples antinomiques, comme le bien et le mal, le positif et le négatif, ou encore la joie et la souffrance (vision du monde propre à l’enfance, mais qui doit être dépassée à l’âge adulte).
Il préconise au contraire de les penser sous la forme de pôles, d’une dialectique des contraires, avec tous les gradients possibles entre les deux pôles et en y intégrant l’entremêlement du yin et du yang : « Distinguer les deux facettes d’un couple d’opposés ne vise nullement à les isoler, les dissocier, les éloigner l’un de l’autre, mais, bien au contraire, à les relier, étant donné leur interdépendance mutuelle » (2024 : 87-88). Or, « ce qui embrouille et empoisonne le psychisme, c’est le manichéisme, le clivage, la dissociation hermétique entre les contraires » (2024 : 88).
Le clivage binaire aurait pour effet de gommer toute nuance, toute ambivalence entre les deux opposés : positif ou négatif, bien ou mal, aimant ou détestant… Ainsi, « le rétablissement de la dialectique féconde […] aide le sujet à se libérer du carcan des schémas rigides et définitifs » (2024 : 92). L’auteur donne l’exemple de l’amour : « L’amour authentique […] s’inscrit obligatoirement dans la dialectique féconde des contraires, alliant l’amour et la limite, la capacité d’aimer et de frustrer aussi si les circonstances l’exigent » (2024 : 162).
Or, pour l’auteur, l’intensité d’un vécu face à une épreuve résulte « de la difficulté d’intégrer la dialectique des contraires, d’accueillir la vie telle qu’elle est, avec ses ombres et ses lumières, ses joies et ses peines » (2024 : 255).
Parallèlement, Moussa Nabati différencie les défis externes (différend commercial, préjudice matériel…) des épreuves internes, qui ne peuvent pas être affrontées avec les mêmes outils. En effet, pour gérer les épreuves internes, l’auteur préconise de « privilégier l’accueil et l’acceptation au refus et à la lutte » (2024 : 14) :
« Les réalités du dehors sont gérées avec efficacité, à l’aide de moyens tels que le colmatage, la vitesse, l’évitement, la fuite, le combat, la force, la volonté, la persévérance, le calcul, le raisonnement… Cependant ces mêmes instruments si efficients s’avèrent non seulement inopérants mais, pire encore, contre-productifs, nuisibles, aggravants lorsqu’ils sont appelés à manier et à gérer les émois internes comme la peur, l’angoisse, la dépression, le vide intérieur, les sentiments d’abandon, de solitude, d’imperfection, d’insécurité et de faute. » (2014 : 54)
Dans ce deuxième cas, il faudrait remplacer l’action « à tout prix » par la patience, l’accueil, l’acceptation, la prise de recul, la mise en perspective, voire le détachement :
« Les deux vies, l’une, psychique intérieure, et l’autre, concrète extérieure, bien que totalement reliées, ne fonctionnent nullement selon les mêmes lois et modalités. Bien au contraire. La gestion et l’épanouissement de la seconde dépendent des valeurs telles que l’action, la volonté, la lutte, l’évitement… […] Il faudra faire preuve de combativité, de persévérance, de volonté.
[…] Si vous souffrez, en revanche, d’un vide intérieur, plus vous chercherez à le combler, à l’aide d’objets, de personnes ou de comportements – la boulimie, l’hyperactivisme, les divertissements, les addictions, le sexe, le pouvoir, l’argent, les médicaments –, et plus paradoxalement vous l’élargirez. Face aux menaces internes comme l’angoisse, la culpabilité, la dépression, plus vous chercherez à les combattre, plus vous augmenterez leur intensité et les prolongerez dans la durée.
[…] La force, la volonté, l’action, la vitesse, la combativité ne s’avèrent d’aucune aide ni utilité dans l’abord et le maniement du psychisme. Celui-ci exige douceur, lenteur, passivité, il attend le chuchotement, la caresse, la patience, le détachement, le renoncement, autrement dit, l’acceptation de l’inacceptable. Ce qui conviendrait à l’un disconviendrait totalement à l’autre, dangereusement. » (2024 : 233-234)
Dans le cas des épreuves internes, c’est donc bien l’acceptation qui devrait être privilégiée : « Tout à fait à l’opposé d’une certaine croyance répandue, elle ne mène pas à la résignation ni à l’inaction. Elle permet, au contraire, d’agir, si nécessaire, de façon plus sereine, plus pertinente, avec davantage d’efficacité, puisque c’est l’adulte qui se trouvera au volant et non plus l’enfant intérieur paniqué, faisant étrangement tout capoter par son empressement et son exigence de perfection » (2024 : 235). Dans ces situations, l’urgence serait d’accueillir sa souffrance, de se mettre à l’écoute de ses émotions, sans ni les juger, ni les censurer : écriture, tuteur de résilience, méditation, mise en perspective (dialectique des contraires)…
Si l’auteur a pris les deux exemples de Mélanie et de Victor, c’est parce qu’en dépit des terribles épreuves qu’ils ont traversées dans leur enfance, la prise de conscience de leur DIP (dépression infantile précoce) à l’âge adulte leur a aussi permis peu à peu de grandir, en utilisant leur DIP comme agent transformateur.
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