Dernière composante des quatre nobles vérités, l’octuple sentier regroupe les huit remèdes à même de se délivrer de la souffrance, organisés en 3 modes (éthique, méditation, sagesse) :
« Chaque membre étant nécessaire et complémentaire des autres : on a besoin sur ce chemin autant d’une éthique juste pour la vie quotidienne, que d’une activité attentive et régulière de méditation afin de se déconditionner et se transformer, que d’une quête de sagesse et de compréhension aussi intellectuelle qu’intuitive, par le cœur. » (Miquel 2017 : 135)
Pour bien comprendre cet enseignement du Bouddha, il faut se rappeler que ce dernier soutenait le principe de la voie du milieu qui consiste à éviter deux extrêmes pour s’en tenir à une voie médiane de sagesse : « [La voie du milieu] évite deux extrêmes : la poursuite du bonheur en étant dépendant du plaisir des sens, et la poursuite du bonheur en pratiquant l’ascétisme et la mortification » (Cornette de Saint Cyr 2018 : 53). La voie du milieu écarterait ainsi autant la jouissance aveugle que l’ascèse extrême, pour privilégier la modération, articulée à l’évitement de la réactivité quant aux événements et aux émotions.
Le chemin de ces huit principes de vie ne serait pas aisé. Et cela d’autant plus que contrairement aux autres religions, pour le Bouddha, la quatrième vérité, l’atteinte du nirvana et de l’éveil, ne serait pas à rechercher dans un autre monde, et ne pourrait au contraire être atteinte que dans ce monde : « […] C’est précisément parce qu’il ne recourt pas comme les autres fondateurs de religion à un principe transcendant, qu’une délivrance au sein même de cette vie – et non dans une autre vie – est envisageable » (Miquel 2017 : 57) :
« Il convient d’en poursuivre simultanément le développement, autant que cela sera possible selon la capacité de chaque individu. Elles sont toutes liées entre elles et chacune aide à cultiver les autres. » (Rahula 1961 : 69)
3 modes |
8 principes de vie |
La conduite éthique
Faire un « stop » avant d’agir ; adopter une attitude éthique dans la vie quotidienne ; privilégier des comportements envers autrui empreints de bienveillance et de compassion.
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La parole juste
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Proche du 1er accord toltèque, ce premier principe exhorterait à ne pas mentir, blesser, injurier, humilier ou encore calomnier ou bavarder inutilement (bavardages futiles). Pour cela, il s’agirait de cesser « de réagir automatiquement aux divers événements qui surgissent, [de] répondre du tac au tac » (Miquel 2017 : 77). À l’inverse, il s’agirait de privilégier des paroles justes, douces, réconfortantes, encourageantes, aimantes, contrôlées : « […] Marquer un arrêt avant de répondre pour se demander si ce qu’on s’apprête à dire est “juste”, adapté à la situation, respectueux de son interlocuteur » (Miquel 2017 : 77). On y retrouverait aussi les principes de communication non violente. Et parfois, le silence (« noble silence ») est d’or…
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L’action juste |
S’apparentant au jaïnisme, ce principe inviterait à la non-violence (vs détruire, faire souffrir, voler, violer, tuer, se droguer, se laisser à des vices, voire agir inutilement…). Comme pour la parole juste, il faudrait là aussi s’écarter des actions réalisées par automatisme ou impulsivité (réaction), pour s’arrêter et agir en pleine conscience. La règle d’or en serait la quintessence, associant « deux principes éthiques » (Miquel 2017 : 81), à savoir la réciprocité (que l’action convienne aussi à l’autre) et l’égalité (considérant l’autre comme son égal). |
Les moyens d’existence justes |
Là aussi très proche des principes promus par le jaïnisme, ce principe encouragerait à ne pas exercer un métier ayant un impact négatif sur les êtres sensibles et plus largement sur la nature. Ses corolaires seraient des activités commerciales déloyales ou illégales, ou encore un enrichissement excessif : « On doit comprendre que la conduite éthique et morale qu’enseigne le bouddhisme vise à assurer une existence heureuse et harmonieuse à la fois pour les individus et pour la société » (Rahula 1961 : 71). |
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La discipline mentale
Méditer pour cultiver son attention ; focaliser son attention sur un élément précis ; vivre en pleine conscience.
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L’effort juste
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Entre les extrêmes que sont l’ascétisme et le laisser-aller, il s’agirait de privilégier un effort juste, en portant une attention particulière (pleine conscience) à l’instant présent, au fondement de la méditation : « L’effort juste et ainsi celui qui se réalise dans l’instant présent, sans se culpabiliser en ressassant le passé et ses échecs éventuels, sans se projeter dans un futur rêvé ou craint. » (Miquel 2017 : 94). Proche de la pensée positive ou du 3ème accord toltèque, ce principe (faisant écho à la pensée juste) inviterait à éviter ou limiter les pensées négatives (ruminations, suppositions, pensées paranoïaques, menant à la soif, à la haine, aux peurs, à la jalousie, à la tristesse, à la colère…) et à nourrir les pensées positives, à l’aune du conte des deux loups.
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L’attention juste
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Ce principe, s’apparentant à la pleine conscience, inviterait à porter une grande attention à ce que l’on fait : respiration, actions, paroles prononcées, pensées, émotions… La méditation, attentive à quatre dimensions selon la tradition bouddhiste (respiration, sensations corporelles, pensées et émotions), viserait en dernier ressort une méditation sans objet : « L’essentiel, c’est de cultiver un état d’attention soutenue et de présence à ce qui advient » (Miquel 2017 : 103). On atteindrait alors une concentration méditative. |
La concentration juste |
Finalement assez proche de l’attention juste, la concentration méditative s’apparenterait au flow. Toujours à travers la médiation, le tout viserait l’atteinte d’un calme stable, l’apparition d’une énergie vitale et enfin la découverte d’une joie profonde : « Il n’y a pas de concentration pour celui qui manque de sagesse ; il n’y a pas de sagesse pour celui qui manque de concentration » (Paroles de sagesse, Rahula 1961 : 181).
La « félicité » serait alors atteinte, un état stable d’équanimité consciente : « Un état d’équilibre parfait et apaisé, d’égalité d’humeur, où tout apparaît sous un nouveau jour » (Miquel 2017 : 113).
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La sagesse
Saisir les quatre nobles vérités, à commencer par l’impermanence et l’interdépendance de toute chose, pour cultiver l’équanimité et la compassion.
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La compréhension juste
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L’éthique et la méditation devraient être éclairées par une vision clairvoyante, basée sur les principes d’impermanence et d’interdépendance de toute chose (coproduction conditionnée). Cette clairvoyance se fonderait sur des connaissances rationnelles et conceptuelles, mais également sur une forme de connaissance intuitive (introspection). La clairvoyance démystifierait ainsi les pensées limitantes et les suppositions et croyances altérées par les émotions : « Il apparaît ainsi que les choses et les événements sont dépourvus de réalité en soi et n’en acquièrent que par le filtre de nos pensées, de nos perceptions et de nos sensations sur lesquelles viennent se plaquer ce que Carl Gustav Jung dénomme nos “projections” » (Cornette de Saint Cyr 2018 : 66). La compréhension juste devrait ainsi aboutir à percevoir la réalité « comme un vaste ensemble cosmique où tout est relié, interdépendant : voir une fleur, c’est voir aussi également la pluie, les nuages, le soleil, les abeilles qui viennent peut-être la butiner, car l’univers entier est dans chaque chose » (Miquel 2017 : 123). Or, « cette pénétration n’est possible que lorsque l’esprit est libéré de toutes impuretés et qu’il est complètement développé par la pratique de la méditation » (Rahula 1961 : 68).
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La pensée juste |
En occident, « […] nous avons développé essentiellement une pensée discursive et conceptuelle, au détriment de la pensée intuitive et introspective » (Miquel 2017 : 124). Ainsi, la sagesse pourrait s’acquérir tant par le développement d’une compréhension juste des choses (impermanence, interdépendance et coproduction conditionnée) que par le développement de « pensées capables de mobiliser les émotions favorables à l’éveil, en sachant comment composer à l’inverse avec les émotions défavorables » (Miquel 2017 : 125). Il s’agirait donc de nourrir les émotions positives telles que la générosité, la bienveillance et la compassion (vertus cardinales) et de purger les émotions négatives telles que le désir (la soif de posséder ou de prestige), la haine et la cruauté. Ce principe inviterait finalement à être tourné vers l’autre, ce que l’on retrouve chez de nombreux philosophes, à instar de Sénèque : « […] L’unique devoir de l’homme : être utile aux hommes » (Sénèque 2018 : 119). |
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« Celui qui n’est plus attiré par les plaisirs matériels, qui abandonne tous les désirs et n’en est plus esclave, qui a rejeté toute envie de possession et s’est dégagé de la tyrannie de l’égo, il parvient à la grande paix, à la sérénité. » (Bhagavad Gita, chapitre II, verset 71, cité par Cornette de Saint Cyr 2018 : 61)
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