La vérité sur ce qui nous motive

par | Juin 6, 2020 | 0 commentaires

Références:

Daniel Pink

La vérité sur ce qui nous motive

Clés des champs

2016

Résumé

Avertissement : l’auteur propose son propre résumé (2016 : 241-246)

Daniel Pink, ancien responsable des discours de vice-président Al Gore (1995-1997), met un terme aux usuels modèles de la carotte et du bâton, de la prime à l’effort, du salaire au mérite, etc.
Faisant référence à la pyramide de Maslow, l’auteur démontre le caractère désuet, voire délétère, des motivations 1.0 (besoins biologiques) et 2.0 (récompense-punition), pour proposer la motivation 3.0, articulée autour de la triade autonomie-maîtrise-finalité.

Cette évolution des modèles de motivation n’est pas sans rappeler l’évolution des modèles de management présentée par Fr. Laloux dans Reinventing Organizations.

Motivation 1.0 Motivation 2.0 Motivation 3.0
Origine de la motivation biologique, mode survie bâton/carotte, récompense-punition, prime au mérite, motivation extrinsèque (1) autonomie (2), TDA (3), sentiment de maîtrise (flow), sens-but-finalité, valeurs, vision, motivation intrinsèque (1)
Nature des tâches / tâches répétitives
tâches simples
tâches algorithmiques (4)
tâches créatives
tâches complexes
tâches heuristiques (4)
Principes sous-jacents loi du plus fort
sélection naturelle
surveillance
contrôle externe
individualisme
performance
confiance
autoévaluation
travail en équipe win-win,
excellence
Modalités coercition, menaces récompense conditionnelle annoncée – punition récompense inattendue a posteriori, récompense non matérielle, feedback
Défauts du modèle conditionnée à l’environnement faible implication, effets Sawyer (5) forte implication
Exemple armée Taylor holacracy

(1) Motivation extrinsèque vs motivation intrinsèque
La motivation extrinsèque est fondée sur des incitations extérieures, qui peuvent aller de la reconnaissance à l’argent ; la motivation intrinsèque est quant à elle liée au « besoin inné de diriger notre propre vie, d’apprendre et de créer de nouvelles choses et de mieux réussir » (2016 : 27).

(2) Autonomie
« Nous sommes censés être des individus autonomes, pas des automates » (2016 : 146). Mais l’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance ou d’autogestion anarchique ; au contraire, l’autonomie s’entend ici en interdépendance avec l’environnement, la mission et l’équipe dans laquelle on prend place, selon quatre domaines (2016 : 128-144), qui peuvent ensuite être audités (2016 : 203-204) :
1. Décider ce que l’on fait
2. Décider du moment où on travaille (forfait d’heures)
3. Choisir la technique utilisée
4. Choisir ses coéquipiers

L’auteur évoque ainsi les entreprises ROWE (results-only work enrivonment), telles qu’elles peuvent être décrites dans Pourquoi le travail nous emmerde (2011), assez proche somme toute des entreprises Opale.

(3) « Théorie de l’autodétermination » (TAD)
« Selon cette théorie, nous avons trois besoins psychologiques innés : être compétents, être autonomes et entretenir des liens. Quand ces besoins sont satisfaits, nous sommes motivés, productifs et heureux » (2016 : 103). Cela suppose un changement de paradigme, à savoir ne plus considérer l’individu comme ayant une aversion innée pour le travail, mais considérer qu’il puisse « aimer » son travail, à condition que ce dernier réponde à la triade autonomie-maîtrise-finalité.
À noter que le terme de finalité doit être compris comme étant le sens qu’une tâche, qu’un projet ou que la mission d’une organisation peut avoir pour une personne. À titre d’exemple, dans l’histoire des casseurs de pierres, le troisième ouvrier « construit une cathédrale », probablement parce que ce dernier est chrétien. Ainsi, son entrain présuppose que ce dernier n’est ni agnostique, ni athée, et encore moins musulman intégriste, pour lequel cette finalité deviendrait une torture. Cela étant dit, la vision d’une entreprise est déterminante : « Si les gens ne savent pas pourquoi ils travaillent, comment pourraient-ils être motivés ? » (2016 : 206). Et l’auteur d’ajouter : « Le fait de maximiser non plus seulement le profit mais aussi la finalité devrait permettre de redynamiser le monde de l’entreprise et de changer la société » (2016 : 246).

(4) Tâches algorithmiques vs tâches heuristiques
Les tâches algorithmiques suivent un processus défini (à l’instar de la chaîne de production de Taylor), alors que les tâches heuristiques demandent de sortir des sentiers battus, à l’instar du test de la bougie.
Or, « […] les tâches algorithmiques ne représentent plus que 30 % de la croissance des emplois aux États-Unis, contre 70 % pour les tâches heuristiques » (2016 : 49). En conséquence, la tendance devrait être aujourd’hui à renoncer aux récompenses : « […] les récompenses extrinsèques [peuvent] être efficaces pour les taches algorithmiques, celles qui consistent à appliquer une formule existante pour en obtenir la conclusion logique. En revanche, pour des activités qui font davantage appel au cerveau droit, à la souplesse d’esprit, à l’invention ou à la conceptualisation, les récompenses conditionnelles peuvent avoir un effet dommageable. » (2016 : 70-71).

(5) L’effet Sawyer : les 4 effets négatifs de la récompense
Alors qu’il semblerait raisonnable de penser qu’une récompense serait un outil efficace de motivation, l’effet Sawyer inventorie les impacts négatifs que peut avoir le principe de récompense (conditionnelle et pécuniaire en particulier) :

1. La récompense peut avoir un effet négatif sur la motivation intrinsèque
« […] Une récompense peut avoir un effet inattendu sur le comportement du sujet : elle peut transformer une tâche intéressante en besogne ennuyeuse » (2016 : 58). En se basant sur des expériences de psychologie comportementale, l’auteur observe que « “quand l’argent est utilisé comme récompense extérieure d’une activité, le sujet attache moins d’intérêt à cette activité même” (Deci 1971). Une récompense peut stimuler le sujet à court terme, tout comme un peu de caféine peut vous faire tenir le coup quelques heures de plus, mais l’effet s’estompe. Pire encore, la récompense peut réduire la motivation à poursuivre le projet à long terme » (2016 : 25).
À noter que ce sont surtout les récompenses attendues et conditionnelles qui sont concernées.

2. La récompense peut avoir un effet négatif sur la qualité
Les incitations conditionnelles, dans bien des cas, conduisent à une perte de sens, à une baisse de la valeur de l’activité et à une perte d’autonomie. Ainsi, « là où les récompenses intrinsèques sont la règle, les gens n’accomplissent souvent que le travail nécessaire pour obtenir la récompense. […] À l’inverse, en l’absence de récompenses conditionnelles ou lorsque les incitations sont suffisamment astucieuses, les gens progressent et comprennent mieux les enjeux » (2016 : 86-87).

3. La récompense peut plomber la créativité
L’auteur, évoquant le test de la bougie, observe qu’« une incitation conçue pour clarifier la pensée et stimuler la créativité produit finalement le résultat inverse » (2016 : 68). Ce résultat est probablement dû en partie à un facteur de stress, qui inhibe la créativité est réduit la capacité de réflexion.

4. La récompense peut avoir un effet négatif sur les comportements
Si une récompense peut dénaturer une tâche (point 1), cela est d’autant plus vrai lorsque la tâche se veut altruiste (don du sang, bénévolat…). Dans ce cas, une sanction conditionnelle peut paradoxalement encourager une mauvaise conduite (2016 : 78-80).

5. La récompense peut encourager une vision à court terme
Si une récompense peut dénaturer une tâche, elle peut aussi encourager des comportements contraires à la morale (point 6). Un vendeur d’assurances rémunéré à la commission aura tendance à rechercher le volume (faire du chiffre), au détriment très souvent de la satisfaction durable du client. Celle illustre parfaitement l’impact positif à court terme mais l’impact négatif à long terme.

6. La récompense peut encourager la tricherie
Les incitations conditionnelles encouragent bien souvent une concurrence interne entre collègues, et ainsi à la création de frustrations, voire de vengeances. Elles poussent à l’individualisme, à la rétention d’informations, à la peau de banane, voire à la tricherie.

7. La récompense peut créer une accoutumance
À cela s’ajoute encore l’accoutumance à laquelle la récompense peut conduire, avec pour conséquence qu’il faudra par la suite offrir des récompenses de plus en plus importantes pour obtenir le même effet : « Les récompenses motivent-elles les gens ? Absolument. Elles motivent les gens à obtenir des récompenses » (Kohn, cité par Pink 2016 : 232).
Ainsi les récompenses conditionnelles au sein des équipes ont souvent le double impact négatif de développer l’individualisme (agrémentés parfois d’actes immoraux) et de créer une forme accoutumance (avec pour impact une augmentation des coûts sur le long terme).

En conclusion, toute récompense n’est pas dommageable : « En ce qui concerne les tâches mécaniques, qui ne sont pas très intéressantes et ne nécessitent pas beaucoup de pensée créative, une récompense peut motiver le sujet sans qu’il y ait d’effets secondaires préjudiciables » (2016 : 91). En revanche, « […] ce qui est très périlleux, c’est de mêler des récompenses à des actions qui sont par nature intéressantes, créatives ou nobles. […] Quand on néglige les composantes de la motivation véritable, c’est-à-dire l’autonomie, la maîtrise des choses et la finalité de ce que l’on fait, la récompense limite l’action » (2016 : 74).
Enfin, il ne faudrait pas perdre de vue que la récompense n’est pas le seul outil de motivation, respectivement de démotivation. Aux côtés de l’autonomie, de la maîtrise et de la finalité, l’environnement de travail est également décisif, et cela d’autant plus qu’il détermine aussi la qualité de la triade autonomie-maîtrise-finalité.

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