La révolution Holacracy

Références:
Brian J. Robertson
La révolution Holacracy : Le système de management des entreprises performantes
Alisio
2016
Résumé
Rare ouvrage consacré à l’holacracie (voir aussi Laloux 2017), ce résumé est complété par des digressions sur la Constitution et de la documentation mise à disposition par iGi Partners.
En arrière-plan de ce modèle de management, l’idée est de proposer une alternative au modèle dominant des entreprises, le modèle de Taylor, où schématiquement les patrons créent le travail et le personnel le réalise. Comme le résume Bernard Marie Chiquet, fondateur de iGi Partners, « avec holacracy, c’est désormais ceux qui font le travail qui le gouvernent, ce qui simplifie considérablement le fonctionnement de l’organisation » (2016 : avant-propos).
On gommerait ainsi la dualité entre le patron qui pense et l’employé qui exécute : chacun pense à son niveau. Quant au patron, il éviterait le piège de travailler dans son entreprise (happé par le quotidien) pour travailler sur son entreprise (Gerger, Michael, 2017 : E-myth : le mythe de l’entrepreneur revisité : Pourquoi la plupart des petites entreprises échouent et que faire pour réussir, Alisio) : « Ce que je perçois aujourd’hui dans le paradigme du leader héroïque, c’est que le leader aura beau être attentionné, charismatique et altruiste, tout le système se trouvera limité par les capacités dudit leader. On prend ce leader pour un surhomme et c’est au final la déception qui l’emporte quand il s’avère qu’il n’en est pas un » (2016 : chapitre 10).
Mais quelle est l’utilité de l’holacracie ? Selon l’auteur, « dans le monde postindustriel actuel, les organisations doivent […] affronter de nouvelles difficultés : une complexité croissante, une transparence accrue, une plus grande interconnexion, des échéances plus courtes, une instabilité économique et environnementale et un impact positif sur le monde exigé » (2016 : chapitre 1). Et B. Robertson, citant Eric Beinhocker, ajoute qu’il « faut des dirigeants courageux pour […] admettre l’incertitude inhérente à l’avenir et privilégier l’apprentissage et l’adaptation au détriment de la prédiction et de la planification » (2016 : chapitre 7). L’holacracie vise à mieux répondre à ces enjeux.
La structure
Une entreprise ordinaire est organisée à partir d’un organigramme et de cahiers des charges. Leur défaut est qu’étant tous deux relativement figés, ils n’ont pas la capacité de s’adapter à des besoins et à un environnement de plus en plus versatile. L’holacracie, via la définition de cercles (organigramme) et de rôles & redevabilités (cahiers des charges) d’une part, et par les séances de triage et de gouvernance d’autre part, offre une structure organique : « Au lieu de structurer une simple relation de pouvoir entre les gens – qui peut donner des ordres à qui –, Holacracy structure le travail au sein du système » (2016 : chapitre 3). En termes informatique, c’est un changement du système d’exploitation.
L’holacracie s’oppose ainsi aux structures habituelles plutôt descendantes, basées sur la prévision et le contrôle. Plus encore, l’auteur observe que « même avec les meilleures intentions du monde et d’excellents dirigeants, une autorité descendante débouche presque toujours sur une dynamique parent-enfant entre le patron et l’employé » (2016, chapitre 2).
Outre le problème de ce paternalisme déresponsabilisant, B. Robertson observe que bien souvent, les décisions sont prises par des managers trop éloignés du terrain, et dès lors déconnecté de la réalité. Il relate ainsi l’histoire éloquente d’un PDG désireux de montrer l’exemple en licenciant un collaborateur sur le champ. Selon B. Robertson, « il faut […] donner aux employés le pouvoir de répondre « localement » aux problèmes, dans leurs fonctions ou domaine, sans que tous les autres adhèrent ou attendent l’autorisation d’un leader responsabilisant. Pour dépasser les limites de la responsabilisation et contrer la tyrannie du consensus, nous avons besoin d’un système qui responsabilise tout le monde. » (2016, chapitre 2).
Dans les systèmes au pouvoir en mille-feuille apparaissent bien souvent : indécisions, louvoiements politiques ; contournements ; court-circuitage de la voie hiérarchique… Et B. Robertson va plus loin : « Lorsque nous distribuons efficacement le pouvoir aux personnes en première ligne, nous améliorons grandement la capacité d’une organisation à exploiter les contributions et à apprendre des choses » (Robertson 2016 : chapitre 2).
Origines
Métaphoriquement, le modèle holacratique est un management constitutionnel (basé sur une constitution), qui doit l’origine de son nom à Arthur Koestler, dans Le Cheval dans la locomotive : le paradoxe humain (2013), évoqué par B. Robertson :
« [Arthur Koestler] a défini l’« holon » comme « un tout qui fait partie d’un ensemble plus vaste » et l’« holarchie » comme la connexion entre les holons. Ces termes vous paraissent peut-être étranges mais ils décrivent une notion que vous connaissez très bien. Votre corps est un exemple d’holarchie. Chaque cellule de votre corps est un holon – à la fois un tout indépendant et la partie d’un tout plus important, un organe. De même, chaque organe est un tout indépendant qui fait partie d’un tout plus important, votre corps. Cette série d’holons en gigogne – cellule, puis organe, puis organisme – est un exemple d’holarchie.
[…] Ces holarchies favorisent simultanément l’autonomie et l’auto-organisation à chaque niveau. » (2016 : chapitre 3)
En cela, la métaphore filée du corps humain permet d’appréhender le fonctionnement global d’une holacracie. Considérons le corps humain comme l’équivalent d’une organisation (entreprise ou institution). Le corps humain forme le super-cercle. Chaque organe peut alors être considéré comme un sous-cercle avec une raison d’être spécifique. Ainsi, le cœur a pour raison d’être d’assurer la circulation sanguine, ce qui permet, via le travail d’un autre sous-cercle-organe, le poumon, d’apporter l’oxygène nécessaire à d’autres sous-cercles, comme les muscles, le cerveau et le cœur… Ainsi, dans une organisation, le service responsable des salaires a une raison d’être clairement définie, qui ne se contente pas de verser un salaire aux autres employés, mais également à ses propres collaborateurs. La plus petite unité du corps humain pourrait être considérée comme la cellule, à savoir le collaborateur. Et chaque entité, la cellule (un collaborateur), le cœur (un cercle) peut communiquer et reçoit des informations de la part du reste du corps. Chaque entité est ainsi à la fois interdépendante et autonome.
Pour saisir ce modèle d’organisation très orienté pratique et suivant un ensemble de règles très structurées, il faut partir de ses éléments constitutifs, à commencer par sa constitution…
La constitution
La Constitution Holacracy définit les règles du jeu (règles de base, structure et processus du système Holacracy) et distribue l’autorité (2016 : chapitre 2), deux piliers du modèle holacratique. Or, c’est bien le processus décisionnel qui est au cœur de l’holacracie : « Le siège du pouvoir passe de la personne trônant au sommet à un processus, détaillé dans une constitution écrite. […] Une fois officiellement adoptée, cette constitution devient le règlement de l’organisation » (2016 : chapitre 2).
Les associés
Dans cette mue de l’organisation, le terme d’associé remplace celui d’employé ou de collaborateur. Et plus encore, dans les structures holacratiques, on s’adresse moins aux associés par leur prénom que par le rôle dans lequel on les interpelle. Si cela peut sembler impersonnel (cela n’empêche pas d’avoir des relations personnelles), l’avantage serait le suivant : « Il est souvent difficile de séparer les émotions concernant les personnes de celles concernant les rôles qu’elles remplissent » (2016 : chapitre3), passant d’un conflit entre rôles à en conflit entre personnes.
Par ailleurs, le terme d’associé laisse entendre qu’il n’y a plus de distinction employé-supérieur-employeur. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’autorités, mais l’autorité étant distribuée, chaque associé a la responsabilité de ses propres rôles : il devient un micro-entrepreneur, à son niveau. On retrouve ici le principe de capabilité, précieux à Armatya Sen (2000 : Repenser l’inégalité, Seuil).
Le cercle
Une organisation (entreprise ou institution) est représentée par le cercle d’ancrage (également appelé cercle généralités de l’entreprise – CGE), qui peut être le seul cercle.

Dans l’illustration ci-dessus, l’organisation est formée de 4 rôles structurels (définis ci-dessous), d’un rôle RH, d’un rôle R&D et d’un sous-cercle « finance ». En effet, lorsque le volume de travail et les responsabilités associées à un rôle du CGE deviennent trop lourdes, ce rôle est subdivisé en plusieurs rôles, réunis dans un sous-cercle.
Tout comme un rôle, un cercle est en général défini par sa raison d’être et ses redevabilités. Des cercles peuvent être inclus dans d’autres cercles, tels des poupées russes. De même, un associé est membre d’un cercle à partir du moment où un rôle relevant de ce cercle lui a été attribué ; un associé ayant différents rôles peut donc faire partie de plusieurs cercles.
Attention : à en croire l’auteur, tout cercle supposant des séances de triage (1 par semaine par cercle en général) et de gouvernance (1 par mois par cercle en général), une surenchère de cercles sera coûteuse et chronophage ; il est donc recommandé d’en créer un minimum. Plus généralement, la qualité d’une organisation est appréciée à travers un double prisme :
1. Un critère de cohésion (fréquentes et nombreuses interactions au sein d’un cercle)
2. Un critère de couplage (rares interactions entre cercles)
Le rôle
Dérivé partiel du cahier des charges ou du descriptif de fonction, le rôle est défini à partir d’une raison d’être (finalité idéale), de redevabilités (à qui et à quoi il sert ?) et/ou d’un domaine (territoire, feu rouge), voire de politiques (règles à respecter). Pouvant être modifié en séance de gouvernance, le rôle est donc organiquement évolutif « en temps réel ».

De là découle le travail opérationnel du rôle, réparti en actions individuelles et en projets (gérés selon la méthode GTD) : « Lorsque vous héritez d’un rôle, vous obtenez l’autorité de mener toute action que vous jugez utile pour exprimer la raison d’être de ce rôle ou énergiser l’une de ses redevabilités du mieux que vous le pouvez, en fonction des ressources disponibles, tant que vous n’empiétez pas sur le domaine d’un autre rôle » (2016 : chapitre 4).
Un associé auquel un rôle a été attribué doit processer les tensions en lien avec ce rôle, processer les redevabilités associées, processer et suivre les projets et actions associés en toute transparence (par exemple en documentant le logiciel dédié) et fixer ses priorités (tout en devant indiquer, si demandée, une estimation de fin de projet). B. Robertson précise par ailleurs que « vous avez le devoir d’accorder la priorité au processing des messages et demandes provenant des autres membres de votre cercle et non à l’exécution des prochaines-actions liées à vos propres rôles, sauf en cas de travail présentant une contrainte de temps » (2016 : chapitre 5).
Lorsque plusieurs associés assument un même rôle, des focus sont en général définis (aire géographique ; selon un planning temporel ; remplaçant en cas d’absence…).
Les rôles sont enfin distribués aux associés par le premier lien (cf. ci-dessous). Toutefois, « un associé qui se voit affecter un rôle est libre d’y renoncer à tout moment, sauf accord contraire, par exemple, si c’est une condition définie dans son contrat de travail avec l’organisation » (2016 : chapitre 3).
Il existe cinq rôles structurels. Les trois premiers concernent la gestion du cercle :
– Le premier lien, également appelé Leader de cercle (en écho à leader de rôle), fait le lien entre le cercle supérieur (super-cercle) et le cercle dont il est le leader (top-down). Il exerce six fonctions managériales, à savoir : (1) structurer la Gouvernance du Cercle, tout en respectant la Constitution ; (2-3) veiller à la distribution des ressources et des rôles au sein du cercle (il attribue tous les rôles, sauf en principe ceux de second lien, de facilitateur et de secrétaire, qui sont élus) ; (4) établir les priorités et les stratégies du cercle ; (5) définir des indicateurs ; (6) éliminer au sein du Cercle les contraintes. Il est également responsable de tous les rôles, domaines et redevabilités du cercle qui n’ont pas été délégués.
Il est nommé par le premier lien du cercle supérieur. La raison d’être, les domaines et les redevabilités sont définies dans l’Annexe A de la Constitution.
– Le second lien, également appelé Représentant du cercle, fait le lien entre le cercle dont il est second lien et le cercle supérieur (bottom-up). Ainsi, il y a clairement la volonté de ne pas cumuler les fonctions de leadership et de représentation dans le super-cercle (voies d’alignement et de feedback bidirectionnelles). L’un de ses rôles fondamentaux est d’éliminer, en tant que porte-parole du cercle, les tensions et contraintes qui limitent les potentialités du cercle. Il est élu par le cercle*, et ce rôle ne peut pas être affecté au premier lien.
– Le lien transverse relie des cercles parallèles ou séparés de l’organisation, ce qui permet de traiter directement des tensions entre cercles. Toutefois, l’holacracie traque les couplages, à savoir les interactions trop fréquentes entre cercles, coûteuses en énergie.
Les deux suivants concernent la conduite des réunions de triage et de gouvernance :
– Le secrétaire planifie les séances et inscrits toutes les décisions et changements dans le logiciel dédié : indicateurs, projets (check-list), etc. Enfin, il est « garant » de la constitution, à savoir qu’en cas de doute, c’est lui qui interprétera la gouvernance ou la constitution. En ce sens, il doit bien connaître l’organisation et la constitution. Il est élu par le cercle*.
– Le facilitateur est un arbitre lors des réunions, veillant en tout premier lieu à faire respecter le processus. Il est donc moins garant du contenu que du processus : il protège le processus. Il est élu par le cercle*, et ce rôle ne peut pas être affecté au premier lien.
* Le second lien, le secrétaire et le facilitateur sont élus en séance de gouvernance, selon un processus d’élection intégrative.
Le processus d’élection intégrative
Ce processus d’élection, en soi accessoire, est cependant caractéristique des principes qui régissent l’holacracie. La première étape consiste à décrire brièvement le rôle (le facilitateur se reportera à l’annexe A de la Constitution, et précisera par exemple la durée du mandat). Chaque associé présent remplit ensuite un bulletin (indiquant son nom et le nom de l’associé proposé pour le rôle). Le facilitateur procède ensuite à un tour de nomination (le facilitateur demande à chacun pourquoi il a proposé cet associé – arguments sans discussions). Puis est organisé un tour de changement de nomination (confirmation ou infirmation du choix pour chaque associé). De ce second tour ressort une proposition (nom de l’associé ayant obtenu le plus de voix ; en cas d’ex-aequo, des règles sont définies dans la Constitution), proposition qui passe à travers le processus d’objections (selon les principes de la réunion de gouvernance).
Ce processus d’apparence « démocratique » ne recherche donc pas le consensus, mais veille en revanche à ce que le choix ne porte pas préjudice au cercle.
La raison d’être
Chaque rôle a en principe sa propre raison d’être. Et comme un cercle est un rôle, un cercle a aussi une raison d’être, définie et modifiable par le cercle supérieur. Et par voie de conséquence, le cercle d’ancrage, donc l’organisation, à sa raison d’être. Or, « lorsque vous adoptez un modèle d’autorité distribuée, la raison d’être devient le socle de la prise de décision à tous les niveaux et pour chaque sphère d’activité (2016 : chapitre 2). Elle est donc déterminante, car elle peut être considérée comme un idéal à atteindre, l’étoile polaire du rôle, du cercle ou de l’organisation. Lorsqu’il s’agit de la raison d’être de l’organisation, elle renvoie en définitive au why du cercle d’or.
La redevabilité
Une redevabilité est une offre de service inscrite dans la durée ; elle est indiquée sous la forme de phrases complètes, commençant par un verbe à l’infinitif. Elle est donc une vitrine du rôle, qui est par exemple affichée sur le logiciel dédié et qui crée ainsi une attente de la part des autres associés.
Comme pour les rôles et les domaines, les redevabilités ne peuvent pas être modifiées en dehors des séances de gouvernance.
Le domaine
En termes de processus décisionnels, l’holacracie est aux antipodes des structures conventionnelles : tout est autorisé, à l’exception de toute règle enregistrée (la constitution et les domaines). La latitude à prendre des décisions est donc très au-delà des structures hiérarchiques.
Dans cet environnement, le domaine est une chasse gardée du rôle, un droit de propriété, un feu rouge pour tous ceux qui ne sont pas investis de ce rôle. Il peut être complété par une politique.
C’est la raison pour laquelle en holacracie, la tendance est de limiter les domaines au strict minimum, au risque dans le cas contraire de scléroser l’organisation. Plus encore, les domaines et les politiques associées « interdisant » certaines actions, la constitution autorise « l’action individuelle », à considérer comme une « règle autorisant d’enfreindre les règles ». Elle est soumise toutefois à des règles strictes : être vraiment utile à l’organisation ; ne pas avoir le temps de faire une requête conforme ; ne pas engager des actifs de l’organisation au-delà de ses propres prérogatives.
La politique
Un domaine crée une chasse gardée. Dans le cadre, une politique permet de définir les règles autorisant des rôles extérieurs à impacter cette propriété ou empêchant ses propres rôles à impacter cette propriété d’une certaine façon. C’est donc une contrainte à respecter en passant à l’action. Ainsi, tout rôle pourrait rédiger des courriers, à conditions d’utiliser le template officiel de l’organisation.
La tension dynamique
C’est dans cet environnement (rôle, redevabilités, domaine et politique) que l’associé va processer ses rôles, à partir du concept central de « tension dynamique » : la proactivité et la créativité sont au cœur de l’holacracie.
Fondée sur une polarité, la tension (2016 : chapitre 1) peut être définie comme l’écart entre ce qui est vécu dans un rôle et ce qui pourrait être vécu idéalement : écart entre la réalité et ce qu’elle pourrait être. Penser les problèmes sous l’angle d’une tension permet de passer d’un mode réactif face à un problème à un mode proactif-créatif face à une tension bipolaire, en se concentrant sur le chemin de l’un à l’autre.
Ainsi, tout associé peut demander de modifier un rôle, une redevabilité ou un domaine (séance de gouvernance) ou respectivement d’entreprendre une action ou un projet (séance de triage), en vue de résoudre sa tension.
La réunion de triage
Définie aussi comme une réunion tactique, elle traite les tensions dans le cadre des actions ou des projets, le but étant de synchroniser l’équipe, de partager de l’information, de s’entraider, et au final d’énergiser les associés. Elle est animée de manière très structurée par le facilitateur, à l’aide de la carte de triage, et les décisions sont enregistrées par le secrétaire dans le logiciel dédié.
À noter qu’une particularité de l’holacracie est de ne pas rechercher le consensus : « Un processus nécessitant un consensus est contraire à un processus cherchant à régler chaque tension et se volant véritablement intégratif. C’est également le meilleur moyen de laisser les ego, la peur ou la pensée collective nuire à la raison d’être de l’organisation » (2016 : chapitre 6). « En Holacracy, rechercher l’approbation d’autrui ou obtenir un consensus n’est pas une condition préalable à la prise de décision dans une réunion de gouvernance » (2016 : chapitre 10).
La réunion de gouvernance
Ce type de réunions traite de l’organisation : « Les réunions de gouvernance […] ont pour but d’affiner la structure opérationnelle du cercle » (2016 : chapitre 4). Elle se concentre sur les tensions portant sur la raison d’être, les redevabilités, les domaines ou les politiques du cercle ou de l’un ses rôles, qui peuvent être créés, modifiés ou supprimés. Basée sur un processus « intégratif » (intégration systématisée des objections), elle est animée de manière très structurée, à l’aide de la carte de gouvernance, et les décisions sont enregistrées par le secrétaire dans le logiciel dédié.
À noter que parallèlement aux séances de triage et de gouvernance, le modèle holacratique prévoir également des séances, moins fréquentes, de stratégie (2016 : chapitre 7).
La gouvernance
Ce qui ressort de ces deux types de réunions c’est d’une part que leur structuration vise à la fois l’efficacité et la garantie que la voix de chacun ait le même poids, et d’autre part que les décisions sont prises au plus près des problèmes, selon un modèle d’autorité distribuée (cf. l’histoire du livreur de pizza). L’auteur résume assez clairement ce principe : « Holacracy n’est pas un processus de gouvernance « des personnes, par les personnes et pour les personnes », c’est une gouvernance de l’organisation, via les personnes, au service de sa raison d’être » (2016, chapitre 2).
L’organigramme usuel est ainsi remplacé par une organisation mouvante, qui se modifie en gré des besoins et de l’environnement. En revanche, « Le processus de gouvernance de Holacracy génère de la clarté en définissant des rôles explicites avec des redevabilités explicites, qui octroient une autorité explicite » (2016, chapitre 3) : « […] au lieu de structurer une simple relation de pouvoir entre les gens – qui peut donner des ordres à qui –, Holacracy structure le travail au sein du système et clarifie les limites entre les différentes entités réalisant ce travail. (2016 : chapitre 3).
Les enjeux sociaux et financiers
Tout comme les séances de stratégie, les enjeux sociaux et financiers sont un angle mort important du modèle holacratique, car non définis dans la constitution : « […] la rémunération, les systèmes de gestion de la performance, les processus de contrôle financier/budgétaires et les processus de recrutement et d’entretien » (2016 : chapitre 8), auxquels on peut encore ajouter le licenciement et la gestion des compétences. Il s’agit donc de les repenser et de les encoder dans la structure, via des cercles, rôles, des redevabilités, des domaines, des politiques…
Les logiciels dédiés
Une telle organisation requiert un outil de gestion de la structure holacratique, un logiciel dédié, qui est à la fois le réceptacle des décisions prises (historique), de l’organisation (registre de la gouvernance : description des cercles et des rôles) et des projets menés. Or, l’ensemble de ces informations sont disponibles en tout temps par tout le monde, sur un principe fondamental de transparence de l’information. Par exemple :
– Si le cercle d’ancrage évoque des problèmes de trésorerie et prends des décisions sur ce point, l’ensemble de la structure en aura connaissance.
– Si dans un cercle « finance », un rôle « Note de frais » est créé, avec comme redevabilité de « Contrôler, avant libération du paiement, la cohérence et le respect des cadres pour toute note de frais », l’ensemble du personnel aura connaissance de l’existence de ce rôle, ainsi que du ou des associés qui le portent.
– Etc.
Deux principaux logiciels existent : Glassfrog et Holaspirit.
Mise en place d’une holacracie
Le processus semble à la fois assez long et délicat : « C’est un changement systémique vers une nouvelle structure de pouvoir, une mutation à la dimension binaire : soit le pouvoir est détenu et délégué par un manager, soit il est aux mains de la constitution de Holacracy » (2016 : chapitre 8).
Cette mise en place, qui gagne à être accompagnée, se décline en 5 étapes (2016 : chapitre 8) : signer la constitution, mettre en place un logiciel dédié, encoder la structure existante, organiser une 1ère séance de gouvernance avec élection des rôles structurels qui le nécessitent et organiser des séances régulières de triage et de gouvernance. Préalablement, sensibiliser et former les équipes, accompagnées d’un coach, serait indispensable.
En résumé :
– L’organisation est nettement plus agile, c’est-à-dire qu’elle est capable de s’adapter à l’environnement de manière plus fluide et plus rapide.
– Les décisions se prennent de manière plus rapide et par les associés au plus près des problématiques (histoire du livreur de pizza). De plus, tant les décisions que la structure sont transparentes l’ensemble des associés, via le logiciel dédié.
– Contrairement aux organigrammes hiérarchiques, affublés de cahiers des charges très figés, l’organisation holacratique est par essence évolutive, via les séances de gouvernance et la redistribution régulière des rôles structurels.
– Le « patron » ou les « cadres » disposant de plus de temps, ils peuvent travailler sur leur entreprise plutôt que dans leur entreprise ; ils peuvent aussi revenir à des tâches plus opérationnelles, dans lesquelles ils excellent, en développant des compétences de followership.
– Si ce type d’organisation ne convient pas nécessairement à tout le monde, ceux qui y travaillent sont fortement impliqués et donc durablement motivés. Ils sont autant de micro-entrepreneurs, qui développent peu à peu des compétences de self-leadership.
– La tension dynamique développe le réflexe de passer d’un mode réactif et à un mode proactif-créatif (self-leadership), avec parallèlement une liberté d’initiative plus importante.
– Les séances (de triage et de gouvernance) deviennent beaucoup plus efficaces. Le leadership est réparti. Ainsi, le facilitateur ne peut pas être premier lien. De même, le consensus n’est plus recherché : on se concentre sur le traitement de la tension de l’associé. Fondées sur la création de valeur, ces séances visent à éliminer tout ce qui peut bloquer la création de valeur, dont le consensus, la séquestration d’une tension, la réunionite ou encore la bureaucratie.
Mot de conclusion
On pourrait être tenté de penser que l’holacracie passe d’un système hiérarchique à un système collégial autogéré. Et pourtant, c’est une autre alternative qui est proposée : « […] Plutôt que de passer d’une autocratie dirigée par un leader à un collectif sans leader, ce que nombre d’entreprises ont tenté de réaliser sans trop de succès, Holacracy [parvient] à créer une organisation remplie de leaders » (2016 : chapitre 10).
Or, les systèmes autogérés ont très largement sombré soit vers des autocraties implicites, soit vers l’implosion. Gageons que ce modèle constitutionnel, fondé sur de l’explicite, allie avantageusement les qualités des systèmes traditionnels et celles des systèmes « autogérés »…
À lire aussi :
Gerger, Michael, 2017 : E-myth : le mythe de l’entrepreneur revisité : Pourquoi la plupart des petites entreprises échouent et que faire pour réussir, Alisio.
Hsieh, Tony, 2011 : L’entreprise du bonheur, Leduc.
Laloux Frédéric, 2017 : Reinventing Organizations, Diateino.
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