La mort d’un enfant
« Un jour, une femme vint trouver le Bouddha et le supplia de redonner la vie à son fils de cinq ans qui venait de mourir. Assurément, il y avait eu erreur. Cet enfant avait tout à vivre. Pourquoi lui plutôt qu’elle, ou quelque autre de ses parents ? Le Bienheureux lui répondit ceci :
– Tu reverras ton fils vivant pourvu que tu mendies pour moi une graine de moutarde, et qu’elle te soit offerte par quelqu’un, homme ou femme, qui n’ait jamais pleuré aucun mort sous son toit.
La mère s’en fut donc de maison en maison, de village en village. On lui offrit des graines de moutarde autant qu’elle en voulait, mais elle eut beau marcher, elle ne put trouver de demeure que le deuil n’eût jamais frappé. Point de palais ni de cabane, d’auberge ou de grotte d’ermite qui n’ait un jour abrité un défunt. Elle s’en revint bredouille devant le Bienheureux :
– Je sais bien, lui dit-elle, à chaque naissance, une mort. C’est la loi et nul n’y peut rien. Mais sais-tu ce qu’est une mère ? Sais-tu ce qu’elle souffre de voir son enfant mourir sur son sein ? C’est cruel autant qu’injuste. Mon fils n’a pas assez vécu. Mort à cinq ans ! Je dois lui manquer. Il avait tant besoin de moi !
– Nous allons lui demander s’il désire te revenir, répondit le Bouddha. Femme, j’en fais serment. Si c’est sa volonté, il te sera rendu.
Le Bienheureux tendit devant lui les bras et l’esprit de mort apparut couché au creux des maisons. Il avait l’air de sommeiller.
– Enfant, ta mère te demande.
– De qui me parle-t-on ? répondit l’enfant. J’ai vécu tant de vies ! Je fus le fils d’une louve et d’une ânesse grise, fils d’une reine aussi, d’une jeune putain, d’une mendiante folle, de mille paysannes et de tant d’autres encore. Dis, quelle mère veut que je revienne à elle ? Et pourquoi le ferais-je ? Répondez-lui que ma route est longue, et que je ne peux pas m’attarder.
La mère s’en revint chez elle, le Bouddha à sa méditation, l’enfant à son chemin. »
(Lenoir 2012 : 139-140)
Commentaires
Ce conte, qui se retrouve dans une forme un peu différente chez Fabrice Midal (2020 : 12-13), est une belle illustration de la première des quatre nobles vérités du bouddhisme, à savoir que la vie connaît toujours des hauts et des bas, car soumise à la loi immuable de l’impermanence. Ainsi, « […] essayez d’augmenter sa tolérance aux imprévus. N’oubliez jamais : dans le désert, le vent est toujours chargé de sable, et souffle de la même manière sur les chanceux et les malchanceux » (Chauvat 2020 : 77).
Ce conte invite finalement à accueillir et vivre pleinement les hauts et les bas de l’existence. Et en faisant allusion au principe de réincarnation, il distille peut-être une seconde leçon : l’égotisme, inconscient et pétri d’amour, d’une mère convaincue que son fils « avait tant besoin d’elle »…
Dans la ligne droite du principe de réincarnation, Dan Millman raconte une histoire similaire, qui pourrait être résumée par « la mort est une transformation » (Millman 1998 : 160) :
« Ça me rappelle une histoire que j’ai entendue il y a bien longtemps, au sujet d’une mère accablée de douleur à cause de la mort de son fils.
“Je ne peux pas supporter la douleur et la tristesse”, disait-elle à sa sœur.
“Ma sœur, as-tu pleuré ton fils avant sa naissance ?”
“Non, bien sûr que non”, répondit la mère abattue.
“Alors tu n’as pas besoin de le pleurer maintenant. Il est simplement retourné au même endroit, dans la demeure originelle qu’il occupait avant de naître”. » (Millman 1998 : 160)
L’auteur conclut cette histoire par une maxime qui ouvre les possibles : « La mort n’est pas triste, ce qui est triste, c’est que les gens ne vivent pas vraiment » (Millman 1998 : 161).
0 commentaires